Page:Loti - Pêcheur d Islande.djvu/242

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des tables alignées pour les buveurs ; des marins se séchant à des flambées fumeuses ; les vieux se contentant avec de l’eau-de-vie, les jeunes courtisant des filles, tous allant jusqu’à l’ivresse, et chantant pour s’étourdir. Et, près d’eux, la mer, leur tombeau de demain, chantait aussi, emplissant la nuit de sa voix immense…

Certains dimanches, des bandes de jeunes hommes, qui sortaient de ces cabarets-là ou revenaient de Paimpol, passaient dans le chemin, près de la porte des Moan ; c’étaient ceux qui habitaient à l’extrémité des terres, vers Pors-Even. Ils passaient très tard, échappés des bras des filles, insouciants de se mouiller, coutumiers des rafales et des ondées. Gaud tendait l’oreille à leurs chansons et à leurs cris — très vite noyés dans le bruit des bourrasques ou de la houle — cherchant à démêler la voix de Yann, se sentant trembler ensuite quand elle s’imaginait l’avoir reconnue.

N’être pas revenu les voir, c’était mal de la part de ce Yann ; et mener une vie joyeuse, si près de la mort de Sylvestre, — tout cela ne lui ressemblait pas ! Non, elle ne le comprenait plus décidé-