Page:Loti - Pêcheur d Islande.djvu/319

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reux qui avaient signé leur engagement par surprise, quelque jour dans un cabaret, et qu’on embarquait par force à présent ; leurs propres femmes et des gendarmes les poussaient. D’autres, enfin, dont on redoutait la résistance à cause de leur grande force, avaient été enivrés par précaution ; on les apportait sur des civières et, au fond des cales des navires, on les descendait comme des morts.

Gaud s’épouvantait de les voir passer : avec quels compagnons allait-il donc vivre, son Yann ? et puis quelle chose terrible était-ce donc, ce métier d’Islande, pour s’annoncer de cette manière et inspirer à des hommes de telles frayeurs ?…

Pourtant il y avait aussi des marins qui souriaient ; qui sans doute aimaient comme Yann la vie au large et la grande pêche. C’étaient les bons, ceux-là ; ils avaient la mine noble et belle ; s’ils étaient garçons, ils s’en allaient insouciants, jetant un dernier coup d’œil sur les filles ; s’ils étaient mariés, ils embrassaient leurs femmes ou leur petits avec une tristesse douce et le bon espoir de revenir plus riches. Gaud se sentit un peu rassurée en voyant qu’ils étaient tous ainsi à bord