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LE ROMAN D’UN ENFANT

on était bien, dans sa maison ! Peut-être n’avais-je jamais compris cela comme ce soir ; peut-être était-ce ma première vraie impression d’attachement au foyer — et d’inquiétude triste, à la pensée de tout l’immense inconnu du dehors. Ce devait être aussi mon premier instant d’affection consciente pour ces figures vénérées de tantes et de grand’mères qui ont entouré mon enfance et que, à cette heure de vague anxiété crépusculaire, j’aurais désiré avoir toutes, à leurs places accoutumées, assises en cercle autour de moi…

Cependant les belles flammes folles dans la cheminée avaient l’air de se mourir : la brassée de menu bois était consumée et, comme on n’avait pas encore allumé de lampe, il faisait plus noir. J’étais déjà tombé une fois, sur le tapis de nouïs, sans me faire de mal, et j’avais recommencé de plus belle. Par instants, j’éprouvais une joie étrange à aller jusque dans les recoins obscurs, où me prenaient je ne sais quelles frayeurs de choses sans nom ; puis à revenir me réfugier dans le cercle de lumière, en regardant avec un frisson si rien n’était sorti derrière moi, de ces coins d’ombre, pour me poursuivre.

Ensuite, les flammes se mourant tout à fait, j’eus vraiment peur ; tante Berthe, trop immobile sur sa chaise et dont je sentais le regard seul me suivre, ne