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LE ROMAN D’UN ENFANT

Il est vrai, je ne vois pas bien ce que sera ce lieu vague, qui m’apparaît comme une pâle vision grise, et les mots, si incertains et flottants qu’ils soient, donnent encore une forme trop précise à ces conceptions de rêve. Et même (c’est bien enfantin ce que je vais dire là, je le sais), et même, dans ce lieu, je me représente ma mère ayant conservé son aspect de la terre, ses chères boucles blanches, et les lignes droites de son joli profil, que les années m’abîment peu à peu, mais que j’admire encore. La pensée que le visage de ma mère pourrait un jour disparaître à mes yeux pour jamais, qu’il ne serait qu’une combinaison d’éléments susceptibles de se désagréger et de se perdre sans retour dans l’abîme universel, cette pensée, non seulement me fait saigner le cœur, mais aussi me révolte, comme inadmissible et monstrueuse. Oh ! non, j’ai le sentiment qu’il y a dans ce visage quelque chose d’à part que la mort ne touchera pas. Et mon amour pour ma mère, qui a été le seul stable des amours de ma vie, est d’ailleurs si affranchi de tout lien matériel, qu’il me donne presque confiance, à lui seul, en une indestructible chose, qui serait l’âme ; et il me rend encore, par instants, une sorte de dernier et inexplicable espoir…

Je ne comprends pas très bien pourquoi cette