Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 11.djvu/17

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Voulez-vous mon sentiment le plus sincère ? La Stratonice est presque plus belle que les plus hauts chefs-d’œuvre du romantisme, et pourtant le romantisme avait raison contre elle. Pourquoi ? Vous allez me demander pourquoi ?

La Danseuse. — Oui.

Moi. Parce que la vie même de l’art est soumise à une influence naturelle et constante, que l’on peut haïr, que l’on peut condamner, mais qui est évidente comme le jour et la nuit, et qu’on appelle la Mode.

La Danseuse. — Ah ! par exemple ! Voilà une phrase que je n’attendais pas de vous.

Moi. — Le devoir des artistes est de diriger cette mode et même de la brusquer, mais il ne faut pas lui obéir. Le général qui a dit : « Je suis leur chef, il faut que je les suive. » était assurément un homme poétique, mais ce n’était pas un homme de guerre, ni un artiste. En art, il y a une mode à considérer, il n’y a pas de mode à suivre.

La Danseuse. — Ce que vous appelez la mode, c’est la tradition.

Moi. — En aucune manière ! La tradition ? Mais c’est notre loi. Et que fait Mme Duncan, sinon reprendre une tradition, plus vieille de vingt siècles que la vôtre ? Nous prétendons seulement que la tradition s’altère, s’abâtardit et que les gestes originels, jadis expressifs, deviennent inintelligents, de même que les anciens