Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 12.djvu/39

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Mais encore doit-on faire sentir et pourtant voiler ces étranges syllabes que nous envions aux poëtes et que les actrices négligent trop souvent comme si elles les lisaient chez nous. Il ne faut ni les prononcer ni les omettre ; je ne me charge pas de m’expliquer plus clairement ; c’est affaire d’instinct et non d’étude ; mais cet instinct n’est pas inné chez tous les artistes, et quand je me souviens que depuis vingt ans nous entendons la sempiternelle Mlle D… vagir en scène, avec ces gestes de mains molles qui sont le caractère de sa grâce :

Tout c’que j’voyais m’semblait Curiace,
Tout c’qu’on m’disait m’parlait d’ses feux,

je comprends trop bien comment l’unanimité de ses camarades voudrait de tout cœur la conduire enfin sous les ombrages de Pont-aux-Dames…



La poësie (j’entends la poësie en vers) peut être considérée tour à tour comme moyen mnémotechnique ou comme jeu.

Comme moyen mnémotechnique, elle est souveraine. En effet j’aurais peine à croire qu’on pût trouver trois personnes capables de réciter sans se tromper d’un mot la Mort de Clopin Trouillefors, le Portrait d’Homère ou le Chemin creux d’Ohain, et pourtant Victor Hugo n’a jamais rien écrit de plus