Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 3.djvu/48

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le fleuve, sous les herbes hautes, fourmillant aux branches nues des baobabs obèses, comme d’étourdissantes cigales, perpétuellement.

Des autruches et des girafes arpègeaient au loin les prairies ; des troupeaux d’antilopes fuyaient comme des nuages blonds ; les singes se suspendaient en grappes fantastiques aux souples branches des sycomores, et parfois dans la vase du Nil, où se suivaient comme de longues fleurs les pas effilés des ibis, Biôn contemplait avec étonnement la formidable empreinte humaine laissée par ce mystérieux Amanit, bête que les hommes n’ont jamais pu voir, mais dont les Aethiopiens font d’étranges récits. Et Biôn, inquiet, se persuadait que les Colosses de granit rose, sculptés dans l’épaisseur des montagnes, allaient pendant les solitaires nuits se baigner jusqu’aux genoux dans le fleuve saint qui est père de tout.

Car, si loin de Thèbes et de Memphis, les restes de la splendeur aegyptienne duraient encore en pays impie, Depuis longtemps les autochtones avaient repris la terre sur les conquérants, et pourtant la face de Rhamsès était pour jamais gravée aux falaises, car les souverains du Nord avaient donné leur forme aux roches que le ciseau des esclaves a pu entamer mais que le temps ni Dzeus ne détruiront plus.

C’était l’hiver. Les nuits s’enveloppaient de fraîcheur brumeuse. Les jours éthérés persistaient