Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 3.djvu/98

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que vous voulez faire aujourd’hui. Je ne peux pas vous le dire, mais je le sais, je le sais, je le sais ! Il s’agit de votre bonheur à vous, je vous le jure par vos beaux cheveux que j’ai vu croître, par vos beaux yeux que j’ai tant de fois endormis, par votre belle bouche que j’ai nourrie quand vous étiez toute nue en mes bras comme un petit Erôs de cire. Danaë ! Danaë ! ne descendez pas cette marche, n’entrez pas dans cette cave, n’ouvrez pas les portes ici, ne touchez pas aux serrures, ne tournez pas les clefs d’airain ! C’est votre malheur qui est là ; c’est la douleur de votre vie. Quand on connaît son malheur, il faut l’oublier pour toujours ! Quand on ne le connaît pas, il ne faut pas l’aller chercher. Danaë ! retournez-vous, éteignez votre lampe, retournez vers le jour, allez-vous-en d’ici, n’y revenez jamais, n’y pensez jamais, allez-vous-en de la mort, allez-vous-en de la nuit… »

Danaë parla, d’une voix lente :

« L’huile s’est répandue sur mes mains. Elle est tombée sur mon pied nu. Je tremble. Vois-tu, nourrice ? Tiens ma lampe, je ne peux plus la porter. Oh ! je suis toute couverte de parfum. J’aurais dû tout verser dans mes mains. Mais nous avons besoin de la lampe. Éclaire-moi, nourrice. »

La nourrice pleura :

« Elle est entrée, c’était son destin qu’elle entre. C’était son destin qu’elle fût malheureuse. Ayez pitié de nous, divinités bienveillantes ! »