Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 4.djvu/240

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— Pourquoi dis-tu cela ? Moi qui viens de le voir, je n’ai joué qu’avec le plaisir dans son bras.

— Tu lui as dû le plaisir parce que tu ne sais pas ce qu’est la volupté, ma toute petite. Oublie-le comme un camarade et félicite-toi de n’avoir pas douze ans.

— On est donc bien malheureuse quand on est grande ? dit l’enfant. Toutes les femmes d’ici parlent sans cesse de leurs peines, et moi qui ne pleure guère, j’en vois tant pleurer. »

Chimairis s’enfonça les deux mains dans la chevelure et poussa un gémissement. Le bouc secoua son collier d’or en tournant la tête vers elle, mais elle ne le regarda point.

Melitta reprit avec intention :

« Pourtant je connais une femme heureuse. C’est ma grande amie, c’est Chrysis… Celle-là ne pleure pas, j’en suis bien sûre.

— Elle pleurera, dit Chimairis.

— Oh ! prophétesse de malheur ! retire ce que tu as dit, vieille folle, ou je te déteste ! »

Mais, devant le geste de la petite, le bouc noir se cabra tout droit, les pattes repliées, les cornes en avant.

Melitta s’enfuit au hasard.

À vingt pas de là, elle éclatait de rire devant un couple ridicule aperçu entre deux buissons. Et cela suffit à changer le cours de ses jeunes méditations.