Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 5.djvu/128

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Je me taisais. D’ailleurs les bruits qui couraient sur la vie privée de Concha la représentaient comme inattaquable, et j’avais trop le désir de la croire telle pour ne pas accepter de confiance même des rumeurs sans fondement. Aucun homme ne l’approchait avec le regard si particulier de l’amant qui retrouve en public sa femme de la nuit précédente. J’eus des querelles à son propos, avec des prétendants que je gênais sans doute, mais jamais avec personne qui se vantât de l’avoir connue. Plusieurs fois, j’essayai de faire parler ses amies. On me répondait toujours : « Elle est mozita. Et elle a bien raison. »

De rapprochement avec moi, il n’était même pas question. Elle ne demandait rien. Elle ne m’accordait rien. Si joyeuse autrefois, elle était devenue grave et ne parlait presque plus. Que pensait-elle ? Qu’attendait-elle de moi ? C’eût été peine perdue que de lire dans son regard. Je ne voyais pas plus clair dans cette petite âme que dans les yeux impénétrables d’un chat.

Une nuit, sur un signe de la directrice, elle quitta la scène avec trois autres danseuses, et monta au premier étage, pour faire une sieste, me dit-elle. Elle avait souvent de ces absences d’une heure, dont je ne prenais pas ombrage, car toute menteuse