Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 5.djvu/170

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longtemps », j’entendais, moi, ces phrases stupéfiantes (mais réelles : je n’invente rien) : « Mateo, tu me battras encore ? Promets-le-moi : tu me battras bien ! Tu me tueras ! Dis-moi que tu me tueras ! »


Ne croyez pas, cependant, que cette singulière prédilection fût la base de son caractère : non ; si elle avait le besoin du châtiment, elle avait aussi la passion de la faute. Elle faisait mal, non pour le plaisir de pécher, mais pour la joie de faire mal à quelqu’un. Son rôle dans la vie se bornait là : semer la souffrance et la regarder croître.

Ce furent d’abord des jalousies dont vous ne pouvez avoir idée. Sur mes amis et sur toutes les personnes qui composaient mon entourage, elle répandit des bruits tels, et au besoin se montra directement si insultante que je rompis avec tous et restai seul bientôt. L’aspect d’une femme, quelle qu’elle fût, suffisait à la mettre en fureur. Elle renvoya toutes mes domestiques, depuis la fille de basse-cour jusqu’à la cuisinière, quoiqu’elle sût parfaitement que je ne leur parlais même pas. Puis elle chassa de la même façon celles qu’elle avait choisies elle-même. Je fus contraint de changer tous mes fournisseurs, parce que la femme du coiffeur était blonde, parce que la fille du libraire était brune, et parce que la marchande de cigares me demandait de mes nouvelles quand j’entrais