Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 5.djvu/76

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pastelliste avec deux doigts et de la poudre sur tout son petit visage trop brun. Elle se retourna, éclairée par un sourire de satisfaction et il me sembla que sa bouche en était transfigurée.

— Ah ! reprit la mère, quel souci pour moi, quand je la vois partir le matin pour la Fabrique ! Quels mauvais exemples on lui donne ! quels vilains mots on lui apprend ! Ces filles n’ont pas de carmin dans les joues, caballero. On ne sait jamais d’où elles viennent quand elles entrent là le matin, et si ma fille les écoutait, il y a longtemps que je ne la verrais plus.

— Pourquoi la faites-vous travailler là ?

— Ailleurs, ce serait la même chose. Vous savez bien ce que c’est, Monsieur : quand deux ouvrières sont douze heures ensemble, elles parlent de ce qu’il ne faut pas pendant onze heures trois quarts et le reste du temps elles se taisent.

— Si elles ne font que parler, il n’y a pas grand mal.

— Qui donne le menu, donne la faim. Allez ! ce qui perd les jeunes filles, ce sont les conseils des femmes plus que les yeux des hommes. Je ne me fie pas à la plus sage. Telle qui a le rosaire en main porte le diable dans sa jupe. Ni jeune ni vieille, jamais d’amie : c’est ce que je voudrais pour ma fille. Et là-bas, elle en a cinq mille.

— Eh bien, qu’elle n’y retourne plus, interrompis-je.