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MM. Joubert et de Carné. MM. Delaporte et Thorel devaient rester au campement de Bassac.

Je partis le 2 novembre au matin, emmenant avec moi, en outre du matelot Renaud, un Annamite de l’escorte qu’un ongle incarné rendait impropre à la marche et qui devait regagner Pnom Penh avec l’interprète Alexis. J’arrivai le surlendemain à Khong, où je fus reçu avec toutes sortes d’attentions et d’égards par le jovial vieillard qui en était le gouverneur. Le 5, après avoir suivi une route différente de celle qu’avait prise l’expédition la première fois, j’étais rendu au sala de l’île de Khon. J’employai toute la journée du 6 à explorer à pied les cataractes voisines. La baisse des eaux, en laissant à sec la plupart des bras torrentueux qui, à l’époque de l’inondation, sillonnent le groupe d’îles dans tous les sens, rendait ces excursions plus faciles. Les heua song se prolongeaient encore à Khon et dans les villages environnants. Tout était en fête ; les pagodes regorgeaient de fleurs et d’offrandes ; les travaux de la récolte commençaient partout. Je n’eus cependant pas trop de peine à obtenir du chef de Khon une nouvelle barque pour continuer ma route au-dessous des rapides.

Le 7, à midi, je quittai Khon, et le 8 novembre, à 11 heures du matin, j’arrivais à Stung Treng.

Du courrier attendu, point de nouvelles. L’insurrection de Pou Kombo, dont nous avions presque perdu le souvenir, était devenue menaçante et coupait toutes les communications avec le bas de la rivière. Les rebelles s’étaient établis sur les deux rives et avaient fait mine de remonter jusqu’à Stung Treng pour poursuivre la petite expédition française. Ils n’avaient renoncé à leur projet qu’en apprenant son départ. Le gouverneur de Stung Treng parut fort inquiet en me voyant. Il m’engagea à revenir le plus vite possible sur mes pas, de peur que le bruit de ma présence ne se répandît. Beaucoup de sauvages des tribus voisines de Stung Treng faisaient cause commune avec les insurgés et avaient enlevé, sur son territoire même, des Laotiens étrangers à la querelle. Il ne se sentait pas en force pour me défendre et restait effrayé de la responsabilité qui lui incomberait, s’il m’arrivait malheur. Le pauvre homme avait la fièvre depuis un mois, et il était devenu d’une maigreur excessive. Fallait-il attribuer sa maladie à ses frayeurs, ou ses frayeurs à sa maladie ? Je pensai que l’une exagérait au moins les autres, et je commençai par lui administrer de la quinine. Le lendemain un mieux sensible s’était prononcé dans son état ; je lui déclarai que pour achever sa guérison, il me fallait plusieurs jours encore. Je voulais gagner du temps et l’intéresser à la prolongation de mon séjour à Stung Treng. Cependant Alexis prenait des renseignements qui ne confirmaient que trop le dire du gouverneur. Si j’étais convaincu qu’une barque pouvait, sans le moindre danger, grâce à la rapidité de sa marche et à la largeur du fleuve, descendre jusqu’à Pnom Penh, je voyais d’assez grandes difficultés au retour, pendant lequel il faut suivre l’une ou l’autre rive et se haler lentement contre le courant ; d’un autre côté, l’importance du courrier attendu me faisait un devoir de tenter l’aventure. Je demandai donc avec insistance au gouverneur de Stung Treng les moyens de continuer ma route sur Pnom Penh. Il refusa avec une énergie dont je ne le croyais pas capable, me représentant le danger certain