Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/369

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kilomètres environ à l’est de la ville, et le commandant de Lagrée résolut de consacrer, par un petit monument, la mémoire de cet homme de bien. Le roi, à qui ce projet fut soumis, se hâta d’entrer dans les vues du chef de la mission française : le culte pour les morts, si fidèlement pratiqué en Indo-Chine, justifiait trop hautement notre demande pour qu’elle ne fût pas accueillie avec empressement et déférence. Sa Majesté voulut fournir les matériaux nécessaires à l’érection du monument, et M. Delaporte, qui, de concert avec M. de Lagrée, en avait arrêté le dessin, se transporta sur les lieux pour en diriger la construction. Le 10 mai, le travail de maçonnerie était terminé, et la Commission tout entière se rendit à Ban Naphao pour assister à l’inauguration du modeste tombeau. Une plaque de grès, polie avec soin, fut encastrée dans l’une des faces ; elle porte cette simple indication : H. Mouhot. — Mai 1867. — Le paysage qui encadre le mausolée est gracieux et triste à la fois : quelques arbres au feuillage sombre l’abritent, et le bruissement de leurs cimes se mêle au grondement des eaux du Nam Kan qui coule à leurs pieds. En face s’élève un mur de roches noirâtres qui forme l’autre rive du torrent : nulle habitation, nulle trace humaine aux alentours de la dernière demeure de ce Français aventureux, qui a préféré l’agitation des voyages et l’étude directe de la nature au calme du foyer et à la science des livres. Seule parfois une pirogue légère passera devant ce lieu de repos, et le batelier laotien regardera avec respect, peut-être avec effroi, ce souvenir à la fois triste et touchant du passage d’étrangers dans son pays.

Nos relations avec les autorités locales ne tardèrent pas à s’améliorer et à devenir plus intimes ; un cousin du roi, homme actif et influent, s’était nettement prononcé en notre faveur et avait mis de notre côté presque tous les membres de la famille royale. Grâce à la bonne conduite des Annamites de notre escorte, à la bienveillance et à la patience de tous les officiers à l’égard de la population, les défiances disparurent peu à peu, et nous en profitâmes pour nous mêler aux fêtes que l’on célébrait à ce moment, en l’honneur du printemps et des fleurs. Le jour, des courses de pirogues avaient lieu sur le fleuve. Le soir, des groupes de jeunes gens, couronnés de fleurs, se promenaient en chantant dans les rues. Les mandarins réunissaient chez eux leurs amis. Ils nous invitèrent à leurs divertissements intimes. Ce devaient être les derniers jours du voyage exempts de préoccupations et de fatigues.

Tous les indices que nous recueillions nous indiquaient qu’en même temps qu’une faune et qu’une flore nouvelles, nous allions rencontrer au delà de Luang Prabang des races, des mœurs et un état politique absolument différents. Nous étions arrivés à une frontière, nous avions parcouru l’étendue totale du terrain conquis sur les bords du fleuve par le plus ancien rameau de la race thai, le rameau laotien. Il est sans doute nécessaire, avant d’aller plus loin, de donner un aperçu général de l’organisation, des mœurs et de l’industrie de cette intéressante contrée.