Page:Luchet, etc. - Fontainebleau, 1855.djvu/213

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un profond silence ; puis les chants de deuil recommençaient, et les femmes se tordaient les bras. Tout au’ond les hommes étaient assis, muets et dans une attitude de résignation. L’air de la porte faisait vaciller la la flamme, dont les reflets couraient sur le mur en arabesques capricieuses.

Je me retirai alors et j’allai m*asseoir à l’écart, un peu troublé de ce que j’avais vu. Les coqs des fermes éloignées chantaient comme pour se réjouir de la mort du célèbre voleur de poules. Ce que je savais de la vie de Frandj me revint en mémoire. Je réfléchissais à la singulière destinée de ce pauvre diable de prince, dont la vie n’avait été qu’un voyage continuel, usant sur tous les chemins la plante de ses pieds, qui était certainement cequ’il avait jamais connu de plus solide en fait de semelles. Je me le représentais tombant, épuisé de fatigues, dans cette bergerie abandonnée, après avoir marché autant que vole une génération d’hirondelles, et disant aux siens : « Mon temps est fini ; qu’un autre maintenant vous conduise sur la terre. Voilà mon bâton que je lègue à mon successeur. »

Cependantl’horizon rougissait, l’air s’éclairait insensiblement, et les formes confuses se démêlaient peu à peu ; le jour allait paraître. Je vis les Bohémiens sortir de la bergerie, ou plutôt se glisser dehors, un à un, comme des ombres, emportant leur mort. Ils s’avancèrent de mon côté et passèrent près de moi sans me voir, mais je remarquai que Frandj avait le visage