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El Arab

quête faite, Lyautey l’avait soigneusement laissé subsister, afin de déranger le moins possible les institutions séculaires d’un pays qu’il voulait séduire… et qu’il avait séduit).

Le premier de ces petits esclaves portait un grand bassin d’argent et une aiguière de même, et vous versait sur les mains une eau tiède et parfumée ; le deuxième offrait des serviettes pour s’essuyer les doigts ; le troisième tenait un encensoir d’or qu’il balançait comme à la messe tout autour de chaque convive.

Il en fut de même après tous les mets, dont le tajine, ou ragoût, qui m’est resté dans la mémoire tant j’étais embarrassée pour y goûter sans assiette, couteau fourchette. Je pensais au frère du marabout dans l’Edough. C’était à mon tour d’être la barbare qui ne sait pas s’y prendre pour manger.

Et, plus que jamais, rien à boire pour faire passer de telles nourritures.

L’instant finit tout de même par arriver où le festin prit fin. Alors furent apportées les minuscules tasse dans lesquelles, au Maroc, on boit le thé à la menthe — ou plutôt la menthe au thé — breuvage excessivement sucré qui remplace le café traditionnel d’autres régions musulmanes.

De ces tasses je crois bien que je bus une trentaine, assoiffée que j’étais comme tous mes compagnons autour de moi.

Fort occupés à ingurgiter tout ce qu’on nous servait et à nous tirer le mieux possible de notre maladresse occidentale, nous n’avions guère parlé pendant ce déjeuner monstre. Pourquoi me vint-il l’idée de demander à voir le harem ? Même aujourd’hui, quand il m’arrive de m’en souvenir encore, j’exhale rétrospectivement un soupir consterné.

Sur l’ordre du marabout un jeune garçon beau comme le jour vint, baissant les yeux dans les blancheurs de ses mousselines de tête, me prendre doucement par la main, et me conduisit jusqu’à la porte du gynécée.

Dans une immense salle assez sombre qui n’avait plus