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Utique

ami fouille les entrailles de sa machine, nous nous sommes tous deux patiemment assis sur le bord du talus. L’interminable route, feutrée et rousse, n’est que vide et silence.

— Si seulement vous pouviez rentrer, vous deux, Marie ne s’inquiéterait pas. Car j’ai bien peur d’en avoir pour très longtemps !

Au bout de trois quarts d’heure apparaît, venant aussi de Tunis, un Arabe monté sur un âne, et qui en tient un autre par la bride.

Il n’a pas fallu longtemps.

— Inzel !… ordonne mon mari. (Descends !)

Il m’installe sur un des ânes, monte sur l’autre, et en route pour le borj. L’Arabe, sans autres explications, nous suit au pas de gymnastique.

Pendant le parcours qui fut long, comme on pense, la conversation s’engagea.

— Vois, dit mon mari dans la langue originelle des Mille Nuits et Une Nuit, quelle est la magnanimité des Roumis ! Avec cette voiture qui marche toute seule, ils pourraient, s’ils te rencontrent sur la route, t’écraser, toi, ton harem, tes enfants et tes ânes. Mais leur générosité est une grande générosité. Car ils possèdent, pour te prévenir afin que tu te ranges, une trompette qu’ils ont la bonté de te faire entendre à temps et qui t’évite et aux tiens de mourir de la mort rouge !

Et, pénétré de reconnaissance, l’autre, les bras au ciel et ne trouvant plus de mots pour s’exprimer, tout en courant derrière ses ânes, répète, signe de l’émerveillement chez ceux de sa sorte : « Ba ! Ba ! Ba !… Esch ! Esch ! Esch ! »

Car une pareille démonstration est de celles qu’il peut le mieux comprendre, étant donné sa race que des siècles de tyrannie orientale ont pliée aux plus énormes injustices.


Autre panne. Ce jour-là c’est tout un rassemblement d’Arabes qui s’est mis en demi-cercle autour du capot