Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/178

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Le sage Aristote ne t’a-t-il pas appris qu’il n’y a rien de solide dans ce qui nous vient de la fortune ?

Alexandre

Ah ! ce philosophe a été le plus détestable de tous mes flatteurs ! Personne ne sait donc tout ce qu’il a fait, cet Aristote, quelles demandes il m’a adressées, quelles lettres il m’a écrites, combien il a abusé de mon amour pour les sciences, toujours prêt à me flatter, à louer ma beauté, comme si la beauté faisait partie du bonheur, ou bien mes exploits, ou bien mes richesses ; car il disait aussi que c’étaient là de vrais biens, afin de n’avoir point à rougir de recevoir mes riches présents. C’était un charlatan, Diogène, un vrai faiseur. Tout le fruit que j’ai retiré de sa sagesse a été de m’affliger de me voir enlever, comme de grands biens, tout ce dont tu viens de faire l’énumération.

Diogène

Sais-tu ce que tu as à faire ? car je veux t’indiquer un remède à ton chagrin. Comme il ne croît pas ici d’ellébore, va boire à longs traits l’eau du Léthé, puis retourne en boire encore et souvent ; c’est le seul moyen de ne plus regretter les biens d’Aristote. Aussi bien j’aperçois Clitus, Callisthène, et plusieurs autres qui viennent en hâte de ce côté, sans doute pour te mettre en pièces et se venger des maux que tu leur as faits. Prends donc cette autre route, et bois souvent, comme je te l’ai dit.

14. Alexandre et Philippe

Philippe

Maintenant, Alexandre, tu ne peux plus dire que tu n’es pas mon fils ; car tu ne serais pas mort, si tu avais été celui d’Ammon.

Alexandre

Je savais bien, mon père, que j’étais le fils de Philippe, fils d’Amyntas, mais j’acceptais l’oracle, le croyant utile à mes desseins.

Philippe

Comment dis-tu ? Tu croyais utile de te laisser duper par les prophètes ?

Alexandre

Je ne dis pas cela. Mais les barbares avaient peur de moi ; aucun d’eux ne me résistait, croyant avoir affaire à un dieu et je n’eus pas de peine à les vaincre.

Philippe

Et quels hommes as-tu vaincus avec lesquels on peut se mesurer, toi qui n’as jamais lutté qu’avec des lâches,