Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/184

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Ménippe

Ce qui t’arrive est prodigieux, Tantale. Mais, dis-moi, pourquoi as-tu besoin de boire ? Tu n’as plus de corps ; le tien est enseveli quelque part en Lydie, et c’est lui qui pouvait jadis avoir soif ou faim. Aujourd’hui que tu n’es qu’une âme, comment peux-tu éprouver la faim ou la soif ?

Tantale

C’est cela même qui est mon supplice : mon âme éprouve la soif, comme si elle était mon corps.

Ménippe

Je veux bien le croire, puisque tu dis que cette soif est ta punition ; mais qu’est-ce que cela peut avoir d’affligeant pour toi ? Crains-tu de mourir, faute de boire ? Je ne vois pas qu’il y ait d’autre enfer que celui-ci, ni de mort qui nous fasse passer en d’autres lieux.

Tantale

Tu as raison ; et c’est une partie de ma peine de désirer de boire sans en avoir besoin.

Ménippe

Tu es fou, Tantale, et ce n’est pas d’eau que tu parais avoir besoin, mais, par Jupiter, d’ellébore pur. Tu éprouves le contraire des gens mordus par un chien enragé : ce n’est pas l’eau, c’est la soif que tu crains.

Tantale

Je ne refuserais pas, Ménippe, de boire même de l’ellébore ; puissé-je en avoir !

Ménippe

Sois tranquille, Tantale : ni toi, ni aucun mort ne boira jamais ; c’est impossible. Cependant, tous ne sont pas condamnés, comme toi, à une soif perpétuelle, tandis que l’eau s’échappe de leurs mains.

18. Ménippe et Mercure

Ménippe

Où sont donc, Mercure, les beaux garçons et les belles femmes ? Sers-moi de conducteur : je ne fais que d’arriver.

Mercure

Je n’ai pas le temps, Ménippe ; seulement regarde de ce côté, à ta droite, par ici, est Hyacinthe, Narcisse, Nirée, Achille, Tyro, Hélène, Lédà, en un mot, toutes les beautés des temps antiques.

Ménippe

Je ne vois que des os, des crânes décharnés, qui se ressemblent tous.

Mercure

Eh ! ce sont là ces beautés tant admirées des poètes, les mêmes os que tu parais si fort dédaigner.