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NIGRINUS OU LE PORTRAIT D’UN PHILOSOPHE.



III

NIGRINUS OU LE PORTRAIT D’UN PHILOSOPHE.[1]




LETTRE À NIGRINUS.
Lucien à Nigrinus, salut.

Le proverbe dit : « Des chouettes à Athènes[2], » pour montrer combien il est ridicule de porter des chouettes dans une ville où elles abondent. Si, dans l’esprit de faire parade de mon éloquence, je composais quelque ouvrage et l’envoyais à Nigrinus, je m’exposerais au même ridicule que l’homme aux chouettes. Mais comme je n’ai d’autre intention que de vous faire savoir ce que je pense de vous, et les sentiments que m’inspirent vos discours, j’échapperai à l’application du mot de Thucydide[3] : « L’ignorance rend hardi et la réflexion circonspect ; » et l’on verra clairement que ce n’est pas l’ignorance toute seule qui me rend téméraire, mais l’amour que je ressens pour vos leçons. Adieu.


UN AMI, LUCIEN.

[1] L’ami. Quel air grave, quelle tête haute depuis ton retour ! Tu ne daignes ni nous regarder ni prendre part à nos réunions et à nos entretiens ; je te trouve complètement changé, et devenu bien fier. Te plairait-il de me faire savoir la cause d’un changement si extraordinaire ?

Lucien. La cause, mon cher ami ?… C’est le bonheur !…

  1. Cet opuscule remarquable a été écrit par Lucien, jeune encore, quelque temps après son arrivée à Rome, on y sent poindre son talent de satirique.
  2. Cf. Aristophane, les Oiseaux, v. 302.
  3. Dans l’oraison funèbre prononcée par Périclès. Voy. Thucydide, liv. II, chap. xl. Gail traduit : « L’audace est fille de l’ignorance, et la réflexion enfante la timidité. »