Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome II, 1866.djvu/290

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Phèdre d'Euripide, qui s'écrie, dans son courroux contre les femmes : Elles ne craignent point les ténèbres complices, Ni des murs indignes les voix accusatrices. Si cependant tu es décidé à ne pas te guérir de cette maladie, suis ta route, achète des livres, enferme-les à clef dans ta maison, et mets ta gloire à les posséder. Cela te suffit. Mais n'y touche pas, ne lis jamais, n'applique point ta langue aux discours, aux poèmes des grands hommes de l'antiquité, qui ne t'ont fait aucun mal. Je sais bien que mes avis sont en pure perte, et, comme dit le proverbe, j'entreprends de blanchir un Éthiopien. Tu continueras d'acheter des livres, tu ne t'en serviras pas, et tu seras la risée des hommes instruits qui n'estiment pas seulement un livre pour sa beauté extérieure et sa magnificence, mais en raison du style et du sens de l'ouvrage.

[29] Tu crois, sans doute, remédier à ton ignorance, la déguiser sous l'apparence de l'érudition, nous imposer par le nombre de tes livres ; mais tu ne sais pas que les médecins les plus ignorants usent du même expédient que toi. Ils se font faire des bottes d'ivoire, des cucurbites d'argent, des lancettes historiées d'or ; puis, quand il faut s'en servir, ils ne savent pas comment les manier, tandis que le premier praticien venu, avec une lancette bien affilée, quoique couverte de rouille, délivre le malade de ses souffrances. Faisons une comparaison plus plaisante encore ; regarde-moi les barbiers : tu vois que les habiles ont un rasoir, quelques petits couteaux et un miroir à l'avenant : les ignorants, au contraire, font un grand étalage de couteaux et de miroirs énormes. Malgré cela leur maladresse n'est un secret pour personne, et ce qu'il y a d'amusant, ma foi, on va se faire raser chez leurs voisins, puis on revient se mirer dans leurs miroirs et y arranger sa coiffure.

[30] Ainsi tu peux prêter des livres à d'autres, mais tu n'en saurais faire usage. Et cependant tu n'en as jamais prêté à qui que ce soit: tu es comme le chien qui, couché dans l'écurie, et ne pouvant manger d'orge, ne permet pas au cheval d'en prendre, lui qui peut en manger. Voilà, pour l'instant, ce que j'avais à te dire franchement au sujet de tes livres; quant au reste, à tes actes bas et méprisables, je t'en parlerai plus d'une fois encore.