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LA JEUNESSE DE RABEVEL

— Ah ! monsieur Lazare, pour la République tout ce que vous voudrez, vous le savez ; c’est le bien du peuple. Et puis, quoi, nous sommes égaux et le droit divin c’est une blague. Mais pour dire qu’un gars qui a quelque chose dans le ventre sera amélioré par elle, vous ne le voudriez pas, ou alors vous n’êtes pas raisonnable ; les hommes sont les hommes, allez !

— Père Jérôme, vous parlez comme un monarchiste.

— Non, foutre ! qu’on ne me parle pas des culs blancs ; mais, faire confiance à l’humanité comme vous dites quelquefois !… Enfin, trinquons à Marianne, et toi, Rodolphe, dis-nous quelque chose de Victor Hugo.

Le tailleur se leva. Il disait les vers d’une voix sonore et pathétique ; il rejetait parfois la tête en arrière et la douce Eugénie debout près du buffet, joignait les mains et l’admirait. Une orgie de tyrans, une fête de libertés et de grandeurs, une apothéose du peuple souverain furent successivement chantées par les voix des deux frères qui connaissaient par cœur tous les poètes de leur temps, semblables en cela au grand nombre des compagnons du faubourg. Bernard écoutait avec une sombre avidité. Que de mots ardents et magnifiques dont le sens lui échappait ! Pourtant, il distinguait dans ces hymnes l’existence de deux races, il sentait confusément que l’une était contrainte et l’autre souveraine. Il aspirait infiniment à quelque chose : libérateur, révolutionnaire, dictateur, il ne s’en doutait guère, ne pouvait choisir. Mais ce qu’il savait c’est qu’il