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LE MAL DES ARDENTS

— Et ma mère, dit-il, ne sais-tu rien de ma mère ?

Alors Eugénie s’attendrit tout-à-fait, prit ce grand garçon dans ses bras et l’installa sur ses genoux pour le dorloter. Il n’avait pas de mère, c’était elle qui l’aimait plus que tout et serait toujours sa petite maman. Elle baisait avec amour ses paupières et son front que de courts cheveux commençaient déjà d’ombrager de nouveau. Mais il s’entêtait ; il allait avoir quatorze ans, il savait bien que tout cela était des mots ; qu’il avait une mère et qu’elle avait fait quelque grosse sottise, mais enfin, ne pouvait-il la connaître, ne pouvait-on la consulter ? Aucun amour pour elle ne venait monter dans ce cœur, certes, mais il ne disait pas tout. Il ne disait pas qu’il avait vu parfois des femmes vêtues de suie et couvertes de bijoux en compagnie de jeunes hommes comme le fils de Bansperger ; et la vieille Catherine avait beau cracher avec mépris en parlant de ces roulures : c’était tout de même des femmes riches.

Il n’allait pas au bout de sa pensée quand il l’articulait intérieurement ; mais il savait bien ce qu’elle était cette pensée : son désir d’apprendre, de grandir, son ambition dévorante, heurtée à cet obstacle de la pauvreté des siens, l’avaient seuls fait songer à l’éventualité d’une mère riche, venant tout-à-coup à son aide. Que cette mère fut méprisée par les Rabevel, il le sentait ; même il devinait vaguement ce qu’elle pouvait être, bien qu’il fût resté très chaste ; mais pourquoi ne rendrait-elle pas service à son fils ? il n’y voyait aucune gêne, aucun obstacle ; il considérait la chose