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LA JEUNESSE DE RABEVEL

contrite d’une voix ardente et basse, frémissante de remords et d’une espèce de crainte ; elle redoutait d’avoir ouvert une porte, elle eût voulu rayer cette journée ; cette journée ! elle eût voulu bien davantage, faire page blanche, rajeunir de dix ans. Oui, disait le témoin intérieur, bien sûr, la pureté d’alors, mais pour quoi faire ? Et elle s’aperçut avec terreur que l’idée inexprimée où s’attardait sa complaisance, c’était le mariage avec Noë. Secouer tout cela ! les larmes montaient invinciblement à ses yeux. Rodolphe inquiet vint voir ce qu’elle faisait ; elle prétexta une migraine atroce qui le surprit et elle resta seule ; quand elle eut bien pleuré, elle se sentit calmée et se leva de sa chaise ; la glace de l’armoire lui renvoyait son image. Les larmes ruisselantes ne l’enlaidissaient pas ; elle se savait belle mais, ce jour, elle sentit tout d’un coup combien ces beaux yeux, cette bouche de pourpre et la chevelure corbeau toute lisse et pure de ligne pouvaient plaire à un homme. Elle soupira et s’en fut.

Le lendemain matin, Noë partit pour ce qu’il nommait plaisamment son calvaire. Seule, Catherine avait été mise au fait ; elle avait haussé les épaules devant tant de naïveté ; que comptaient-ils donc tirer de saletés pareilles, demandait-elle avec ce ton d’orgueil où l’honnête femme savourait sa revanche secrète. Puis elle était sortie à son tour, avait trouvé le frère Valier à son domicile, lui avait demandé conseil : et ils avaient convenu qu’il s’arrêterait le soir chez eux, « en passant », comme cela lui arrivait maintenant très