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LE MAL DES ARDENTS

si naturel ? Il allait donc falloir avoir de la chance, aider la chance, user de ruse ? Mais, à ce jeu, des êtres comme Abraham, moins réellement et universellement intelligents que lui, mais plus subtils dans le cours ordinaire de l’existence, étaient mieux armés pour réussir ! Sans s’exprimer exactement toutes ces pensées qui roulaient dans sa tête, il percevait ce que l’habileté et la souplesse de Blinkine pouvaient obtenir alors que son esprit de rébellion risquait de rester impuissant ; et il se faisait intérieurement des propos de ferme résolution ; il se gouvernerait, s’assouplirait, saurait s’examiner et se conduire. Mais il lui restait de l’inquiétude.

Sur ces entrefaites, lui parvint une lettre, la première, de son ami Régis. François lui annonçait qu’il lui écrivait du sud de la Terre par le travers de l’île de Pâques. Toute la lettre n’était qu’une effusion lyrique, un cri de joie, le balancement d’un cœur suspendu au double sein de l’onde et de l’azur. Bernard reconnaissait l’enthousiasme de son camarade et ne s’en émouvait guère. La fin l’intéressa davantage : le bateau que gouvernait le Capitaine Régis transportait du coprah, une énorme cargaison que la maison Bordes avait troquée par petits chargements dans les îles contre de la quincaillerie et qui avait preneur à un prix laissant vingt mille francs de bénéfice pour le voyage. Le père Régis avait une prime de un pour cent sur ce chiffre. Bernard eût le rire de Blinkine. Quelle misère ! Et quand il montra la lettre au petit Abraham ils se sentirent frères