Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/112

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n’ont-ils pas chanté d’autres exploits ? Pourquoi tant de hauts faits ont-ils tant de fois péri ? Et pourquoi (5, 330) les monuments éternels de la renommée n’en ont-ils pas gardé la fleur ?

Quant à moi, je pense que l’univers est dans sa jeunesse, la Nature dans sa fraîcheur, et que leurs commencements ne datent pas de bien loin. Aussi voit-on quelques arts se polir encore de nos jours, et de nos jours encore suivre leur développement : c’est d’aujourd’hui que mille progrès enrichissent la navigation [334] ; c’est d’hier que les musiciens ont inventé leurs douces harmonies. Enfin, le système de la nature, ce plan du monde, est une découverte récente ; et on ne m’a trouvé qu’en cet âge, moi qui, le premier entre tous, ai su l’introduire dans la langue de nos pères.

Si par hasard tu crois que les mêmes choses existaient jadis, (5, 340) mais que les générations humaines ont succombé aux vapeurs brûlantes, que les villes se sont abîmées dans une grande tempête du monde, que sous des pluies continuelles les fleuves dévorants ont inondé le sol, englouti les hautes murailles, tu n’en seras que mieux vaincu, et obligé d’admettre que la terre et le ciel marchent aussi à leur perte. Car au moment où ces fléaux, ces périls épouvantables tourmentaient les êtres, si une cause de mort plus terrible se fût abattue sur eux, ils eussent précipité au loin, dans un immense désastre, leurs ruines immenses. Les hommes même, pourquoi se jugent-ils mortels, (5, 350) sinon parce que des maladies les gagnent, eux qui ressemblent aux êtres déjà chassés de la vie par la Nature ?

D’ailleurs, pour que les êtres soient éternellement durables, il leur faut une matière solide qui brave les coups, et ne laisse pénétrer aucun germe de dissolution entre le tissu étroit des parties, comme les atomes dont nous avons indiqué plus haut la nature. Ils peuvent avoir aussi la même durée que les âges quand ils échappent aux atteintes, comme le vide qui demeure toujours impalpable, qui ne reçoit pas la moindre blessure du choc ; (5, 360) et quand ils ne sont environnés par aucun espace libre dans lequel un corps puisse se dilater et se répandre, comme le tout universel, le tout impérissable, qui hors de soi ne trouve ni étendue pour la fuite, ni atomes dont la rencontre, dont les assauts terribles viennent le pulvériser. Or, nous avons vu que le monde n’est pas une substance de nature solide, puisque le vide se mêle à tout assemblage. Il est encore moins un vide pur. Il ne manque pas de corps ennemis : du tout immense jaillissent mille tourbillons orageux qui peuvent entraîner la chute de notre univers, (5, 370) ou lui apporter mille désastres. Enfin, il a toujours des espaces, des gouffres inépuisables, pour y semer les débris de ses remparts, pour y essuyer des attaques mortelles. Donc, les portes de la mort ne sont pas fermées au ciel, ni au soleil, ni à la terre, ni aux eaux profondes ; non : ces gouffres béants les attendent, ouverts dans toute leur immensité.

Tu es donc obligé aussi de reconnaître que ces mêmes corps ont pris naissance. Car des substances mortelles (5, 379) eussent été incapables de braver éternellement, jusqu’à nos jours, l’irrésistible force d’un temps immense.