Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/122

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Tous les monstres et les phénomènes de ce genre, la terre les créa ; mais en vain : la Nature coupa court à leurs accroissements, et les empêcha d’atteindre à la fleur si désirée de l’âge, de trouver leur nourriture, ou de se joindre par les douces choses de Vénus. Car, nous le voyons, il faut que mille détails concourent à permettre la reproduction et la durée des races : il faut d’abord qu’elles aient une pâture ; ensuite il faut qu’une semence fertile, répandue dans les nerfs, (5, 850) puisse jaillir des membres qui se fondent ; et que la femelle endure les approches du mâle, et que l’harmonie des organes forme le nœud des jouissances communes.

Aussi des espèces nombreuses ont-elles dû succomber alors, incapables de se propager et de faire souche. Celles que tu vois jouir encore du souffle vivifiant des airs, la ruse, la force, la vitesse, les protègent et les conservent depuis la naissance des âges ; il y en a même beaucoup qui, par leur utilité, se recommandent à la vie éternelle, et se confient à notre garde.

(5, 860) Dès l’origine, la race fougueuse des lions, espèce cruelle, fut défendue par le courage ; le renard par la ruse, le cerf par la fuite. Mais les chiens au sommeil léger, au cœur fidèle, et toute la génération des bêtes de somme, et les troupeaux chargés de laine, et la famille des bœufs, tous ces êtres, Memmius, s’abandonnèrent à la protection de l’homme. Car, avides de fuir les bêtes sauvages, ils vinrent y chercher la paix et une nourriture abondante, acquise sans trouble : bienfaits dont nous payons leurs services. Ceux que la Nature privait de toute ressource, (5, 870) sans aucune force pour la vie indépendante, ni aucun don utile qui engageât les hommes à veiller sur le repos et la subsistance de leur espèce ; ceux-là étaient la proie, le gain des autres, languissant abattus et enchaînés par un destin misérable, qui aboutissait à la mort où la Nature plongeait toute la race.

Quant aux Centaures, ils ne vécurent jamais, et ne peuvent jamais vivre. Il est impossible que cette double nature, ce double corps, et cet assemblage de membres hétérogènes qui combinent leur double puissance, demeurent en équilibre. (5, 870) Voici de quoi convaincre les plus épaisses intelligences.

Trois ans à peine révolus, le cheval impétueux est dans toute sa fleur ; mais non pas l’enfant : à cet âge, que de fois il cherche encore dans ses rêves les mamelles gonflées de lait ! Puis, sitôt que le cheval, au bout de ses forces, au déclin de ses années, voit défaillir ses membres languissants que la vie abandonne, alors seulement l’enfance fleurit aux approches de sa jeunesse, et un tendre duvet ombrage ses joues. Ne va donc pas croire qu’un homme mêlé à la semence du cheval robuste puisse engendrer un Centaure capable de vivre, (5, 890) ou des Scylles au corps à demi marin, entourés de chiens furieux, et tous les monstres pareils, dont les membres offrent une discorde si éclatante. Car ils ne gagnent ensemble ni la fleur des ans, ni la cime des forces, ni le terme