Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/123

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de la vieillesse ; la même Vénus ne les embrase pas : leurs habitudes diffèrent, et des mets semblables ne flattent point leurs organes, puisque les troupeaux à longue barbe s’engraissent de la ciguë, où l’homme ne trouve qu’un poison énergique.

(5, 899) Et puisque, de tout temps, les flammes brûlent et consument le corps fauve des lions, aussi bien que toutes les espèces formées ici-bas de sang et de viscères, comment aurait-il pu y avoir un être, triple corps à lui seul, lion par en haut, dragon par en bas, et au milieu ce que nous appelons chimère, dont la gueule vomit du fond des entrailles une flamme dévorante ?

Ainsi quiconque, ne s’appuyant que sur ce vain mot de nouveauté, avance que la jeunesse de la terre et la fraîche origine du ciel ouvraient les portes de la vie à de semblables animaux, est libre, par le même système, de nous conter mille fables. Qu’il affirme qu’en ce temps-là des fleuves d’or baignaient partout les campagnes, (5, 910) que tous les arbres pour fleurs avaient des perles ; ou bien que l’homme naissait avec un tel essor dans les membres qu’il pouvait franchir la vaste mer de ses vastes enjambements, et de ses mains faire tourbillonner autour de sa tête le globe entier des cieux ! Non, l’abondance des germes contenus dans le sol, au moment où la terre fit jaillir les premiers animaux, n’est pas un signe qu’il ait pu se produire des êtres, mélangés, assemblages de membres divers. Car aujourd’hui même que les herbes de toute sorte, les fruits, les arbres poussent si abondamment de la terre féconde, (5, 920) encore sont-ils incapables de naître enchaînés : loin de là, tous se développent à leur manière ; tous conservent les traits distincts, empreints du sceau ineffaçable de la Nature.

La race humaine, alors éparse dans les campagnes, était beaucoup plus dure, comme elle devait l’être, enfantée par les dures entrailles de la terre. La charpente des os était plus vaste, plus solide ; des nerfs plus robustes attachaient les muscles : l’homme n’était sensible ni aux surprises du froid ou de la chaleur, ni à la nouveauté des aliments, ni à aucun fléau du corps.

Durant mille révolutions du soleil autour des cieux, (5, 930) il traînait partout sa vie à la manière des bêtes errantes. Il n’y avait point encore de bras vigoureux qui maniât le soc recourbé, point d’homme qui sût travailler le sol avec le fer, enfouir dans la terre de jeunes arbrisseaux, ou élaguer sous la faucille le feuillage vieilli des grands arbres. Ce que leur donnait le soleil ou la pluie, ce que la terre répandait elle-même, suffisait, humble don, pour apaiser le cri de leur estomac. Le plus souvent, ils entretenaient leur corps sous les chênes aux glands fertiles, (5, 940) ces arbousiers que tu vois, durant nos hivers, mûrir avec une teinte de pourpre, la terre les engendrait alors innombrables, et plus grands que les nôtres : enfin, dans sa fleur de jeunesse, le monde produisit encore mille choses, nourriture grossière, mais abondante pour les tristes humains.

Les fleuves et les sources les invitaient à étancher leur soif ; comme, aujourd’hui, les torrents