Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/180

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la beauté. Ô qu’il te plaise seulement d’habiter avec moi ces pauvres campagnes, et nos humbles chaumières ; de percer les daims, (2, 30) et de chasser devant toi, avec la verte houlette, la bande pressée de nos chevreaux. Avec moi dans les forêts tu imiteras Pan sur tes pipeaux. Pan le premier a enseigné à joindre ensemble par la cire plusieurs chalumeaux ; Pan protège et les brebis et les bergers. Ne crains pas de blesser avec la flûte ta lèvre délicate : pour apprendre mes airs, que ne faisait pas Amyntas ? J’ai une flûte formée de sept tuyaux d’inégale hauteur, qu’autrefois Damétas m’a donnée en propre : en mourant il me dit : « Tu es le second qui l’aies. » Ainsi dit Damétas ; Amyntas n’en fut-il pas sottement envieux ? (2, 40) De plus, j’ai trouvé au fond d’un périlleux ravin deux petits chevreuils tachetés de blanc ; chaque jour ils épuisent les mamelles de deux brebis : je les garde pour toi. Il y a longtemps que Thestylis me presse de les lui amener ; et elle les aura, puisque tu n’as que du dédain pour mes présents. Viens, ô bel enfant ! Voici les nymphes qui t’apportent des lis à pleines corbeilles : pour toi une blanche naïade cueillant de pâles violettes, les plus hauts pavots, et le narcisse, les joint aux fleurs odorantes de l’anet ; pour toi entremêlant la case et mille autres herbes suaves, (2, 50) elle peint la molle airelle des couleurs jaunes du souci. Moi-même je cueillerai les blanches pommes du coing au tendre duvet, et des châtaignes, qu’aimait mon Amaryllis : j’y joindrai la prune vermeille ; elle aussi sera digne de te plaire. Et vous aussi, lauriers, myrtes si bien assortis, je vous cueillerai, puisqu’ainsi rassemblés vous confondez vos suaves odeurs. Tu es sot, Corydon ; Alexis ne veut pas de tes présents ; et si les tiens le disputaient à ceux d’Iolas, Iolas ne te céderait pas. Malheureux, qu’ai-je dit ? Je suis perdu d’amour ; j’ai déchaîné l’auster sur les fleurs, j’ai lancé le sanglier fangeux dans les claires fontaines. (2, 60) Ah ! qui fuis-tu, insensé ? Les dieux aussi ont habité les forêts ; le Troyen Pâris était berger. Que Pallas aime les hauts remparts qu’elle a bâtis : nous, que les bois nous plaisent par-dessus tout. La lionne à l’œil sanglant cherche le loup ; le loup, la chèvre ; la chèvre lascive, le cytise en fleurs : et toi, Corydon te cherche, ô Alexis ! chacun suit le penchant qui l’entraîne. Vois, les bœufs ramènent le soc levé de la charrue ; et le soleil, qui descend, double les ombres croissantes : et moi je brûle encore… Est-il quelque répit à l’amour ? Ah ! Corydon, Corydon, quelle démence est la tienne ? (2, 70) La vigne, unie à cet ormeau touffu, reste à demi-taillée : que ne prépares-tu plutôt quelque ouvrage utile à tes champs ? que ne tresses-tu le jonc et le flexible osier ? Tu trouveras un autre Alexis, si cet Alexis te dédaigne.