Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/227

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selle entre tes doigts. Cependant la barbe blanchissante du bouc de Libye, et ses longs poils, tombent sous le ciseau : on en fait des tissus pour le soldat et des vêtements pour les pauvres matelots. D’ailleurs les chèvres s’en vont elles-mêmes paître dans les bois et sur les pentes du Lycée, où elles broutent les ronces hérissées et les buissons, qui aiment les lieux escarpés. Le soir, elles pensent à revenir au bercail, et y ramènent leurs chevreaux, elles-mêmes si chargées de lait, qu’à grand’peine elles franchissent le seuil de l’étable. Sois donc attentif à écarter d’elles la gelée et les vents froids, d’autant qu’elles sont plus dépourvues des instincts de l’humaine prévoyance : (3, 320) ne les laisse manquer ni d’herbes ni de feuillage ; et, tant que durera la brume, ne leur ferme pas tes greniers à foin.

Mais lorsque l’été reviendra, rappelé par les zéphyrs, laisse aller tes brebis et tes chèvres dans les bois et dans les prairies. Dès que Lucifer paraît, gagnons la campagne : voici le frais matin ; le gazon est encore blanc des frimas de la nuit ; c’est le moment où la rosée sur l’herbe tendre est le plus agréable aux troupeaux. Vers la quatrième heure, quand tout languit de chaleur et de soif, quand la cigale importune les buissons de sa plainte perçante, mène tes troupeaux au puits voisin, ou bien vers ces étangs profonds, (3, 330) d’où l’eau courante s’échappe par des canaux de bois. À midi, va te mettre à couvert sous l’antique tronc d’un grand chêne qui étend au loin ses rameaux, et encore dans ces bois profonds où l’yeuse accumule ses ombres noires et révérées. Sur le soir, que ton troupeau s’abreuve et paisse encore, à l’heure où Vesper commence à rafraîchir l’air, où la lune ranime les bois par une douce humidité, où tout chante, les alcyons sur les rivages, les rossignols dans les buissons.

Que dirai-je des pasteurs de la Libye, de leurs pacages, (3, 340) et de leurs cabanes rares et éparses dans les champs ? Souvent le jour et la nuit, et durant des mois entiers, ils tiennent les pâtis ; le troupeau s’en va à travers de longs déserts, errant et sans abri, tant la plaine est immense ! Le berger africain emmène tout avec lui, son toit, ses Pénates, son chien, ses armes et son carquois. Ainsi le soldat romain, intrépide sous les armes, marche, et ne sent pas le fardeau qui l’excède ; et avant que l’ennemi s’y attende, il a déjà planté ses pavillons devant lui.

Mais la coutume est autre chez les peuples de la Scythie : sur les bords du lac Méotis, (3, 350) là ou l’Ister roule un sable jaune dans son lit fangeux, là où la chaîne du Rhodope va s’étendant jusque sous le pôle, les pasteurs tiennent leurs troupeaux renfermés dans les étables. C’est que là les champs sont sans herbes, les arbres sans feuilles. La terre informe, et tout en monceaux de neige, dort sous des couches de glace hautes de sept coudées. Là toujours l’hiver, toujours le Caurus soufflant le froid. Jamais le soleil n’y dissipe les pâles vapeurs de la brume, soit que porté sur son char il monte au plus haut des airs, soit qu’il précipite ses coursiers dans l’Océan,