Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/238

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saims enchaînés se tiennent suspendus par les pattes aux portes des ruches ; ou bien, retirés dans le fond de leurs demeures closes, ils restent là engourdis par la faim, inertes, et contractés par le froid. (4, 260) Alors on entend un bruit sourd, et comme un bourdonnement plaintif et incessant. On dirait le froid Aquilon murmurant dans les bois, ou la mer agitée qui se retire en mugissant, ou la flamme rapide qui bouillonne emprisonnée dans une fournaise. C’est le moment de brûler autour de tes ruches le galbanum odorant, d’y faire couler du miel au moyen d’un roseau creux ; toi-même, excitant de la voix tes abeilles languissantes, essaye de les rappeler à la nourriture qu’elles aiment. Il sera bon aussi d’en relever la saveur en y mêlant de la noix de galle pilée, des roses sèches, du vin cuit et fort épaissi par le feu, des grappes de raisin sec, (4, 270) du thym, et les riches parfums de la centaurée. Il est aussi dans les prés une fleur que les laboureurs ont nommée amellum, et qui est facile à trouver. La plante pousse d’une seule tige des rejetons nombreux : la fleur est couleur d’or, mais sous les feuilles, qui s’étalent alentour, éclate la pourpre rembrunie de la violette. Souvent les autels des dieux se parent de leurs guirlandes entrelacées. La plante est âpre au goût ; les bergers la cueillent dans les vallons où broutent leurs troupeaux, et le long des rives tortueuses du fleuve Mella. Fais-en bouillir les racines dans un vin parfumé, (4, 280) et place devant tes ruches des corbeilles pleines de cette suave nourriture.

Mais si c’est la race entière de tes abeilles qui vient tout à coup à manquer, et si tu es sans ressources pour la renouveler, il est temps de te révéler la mémorable découverte du maître de l’Arcadie, et de dire comment le sang corrompu des taureaux égorgés a fait naître maintes fois de nouveaux essaims : je veux te raconter cette merveilleuse histoire, la reprenant dès sa plus haute origine. Là où les peuples fortunés de Canope, bâtie par le héros de Pella, habitent les plaines que le Nil débordé couvre de ses eaux stagnantes, et voguent dans leurs champs sur des barques peintes ; (4, 290) vers les confins de la Perse, là ou le fleuve qui arrive à flots précipités du pays des noirs Éthiopiens engraisse la verte Égypte de son épais limon, et va se jeter dans la mer par sept embouchures, on n’a d’espoir qu’en ce moyen puissant de sauver la race des abeilles. D’abord on choisit et dispose exprès un petit endroit, lequel est resserré de tous les côtés : une toiture de tuiles supportée par des murs étroits couvre le terrain, et reçoit obliquement le jour par quatre fenêtres tournées vers les quatre points du ciel. (4, 299) Là on amène un taureau de deux ans, dont les cornes commencent à courber leurs pointes menaçantes ; il a beau se débattre, on lui bouche les narines, on lui ôte l’haleine : ensuite on le fait mourir sous les coups, et ses entrailles meurtries se dissolvent dans sa peau qui reste entière. En cet état on l’abandonne dans l’enceinte formée, après qu’on l’a couché sur un lit de feuillage, et embaumé de thym et de case fraîchement cueillie. Cela se pratique quand les doux zéphirs font déjà frissonner les eaux, avant que les prés ne brillent émaillés de