Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/240

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et il vous appelle une mère cruelle. » « Mon fils ! répond Cyrène, saisie d’une nouvelle crainte ; qu’on m’amène, qu’on m’amène mon fils ; il a droit d’entrer dans les demeures des dieux. » Soudain elle ordonne aux flots profonds de se séparer (4, 360) et d’ouvrir un large passage au jeune Aristée : l’onde, se courbant des deux côtés en forme de montagne, reste suspendue, le reçoit dans son vaste sein, et le porte jusqu’au fond du fleuve. Aristée s’avançait, admirant le palais de sa mère et son liquide empire, et ces lacs enfermés dans leurs cavernes, et les racines des forêts que les eaux font retentir : étonné de ce grand mouvement des ondes, il voyait couler sous la vaste terre tous les fleuves qui en viennent, et qui de là se répandent en mille endroits, le Phase, le Lycus ; il voyait les sources d’où le profond Énipée s’échappe en se précipitant, d’où s’élancent et le Tibre, et les courants de l’Anio, (4, 370) et l’Hypanis tombant avec fracas sur des rochers, et le Caïque de Mysie, et l’Éridan avec ses deux cornes d’or et sa face de taureau, l’Éridan qui, plus fougueux que tous les autres, court, à travers des campagnes fécondes, verser ses eaux dans la mer resplendissante. Enfin Aristée entra sous les voûtes pendantes et rocailleuses du palais de sa mère. Quand Cyrène a connu le vain sujet de ses larmes, les nymphes ses sœurs s’empressent autour de lui ; les unes épanchent une eau pure sur ses mains, les autres lui offrent pour les sécher de fins tissus de lin ; celles-ci chargent les tables de mets, et y placent des coupes pleines ; la fumée des parfums s’élève des autels embrasés. (4, 380) Alors Cyrène dit à son fils : « Prends cette coupe remplie d’un vin de Lydie ; faisons des libations à l’Océan. » En même temps elle invoque l’Océan, le père de toutes choses, et les nymphes ses sœurs, qui gardent cent forêts, qui règnent sur cent fleuves. Trois fois elle répandit la liqueur sur la flamme ardente ; trois fois la flamme, jaillissant, s’élança jusqu’à la voûte. Rassurée par ce présage, elle poursuit en ces mots :

« Dans les abîmes de la mer Carpathienne habite un devin fameux, Protée, qui parcourt les flots immenses sur un char attelé de monstres marins et de chevaux à deux pieds. (4, 390) À présent il va revoir les ports de l’Émathie, et Pallène sa patrie. Nous les nymphes des eaux, et le vieux Nérée lui-même, révérons ce devin ; car il sait le présent, le passé, et toutes les choses qui sont à venir. Ainsi l’a voulu Neptune, dont il fait paître au fond des mers les phoques, informes et hideux troupeaux. Il faut, mon fils, que tu commences par le charger de liens, afin qu’il t’explique toute la cause du mal qui a tué tes abeilles, et qu’il t’aide à réparer tes pertes. Car si tu n’uses de violence, il ne t’enseignera rien ; et tu auras beau le prier, tu ne le fléchiras point. Prends-le de force, enchaîne-le, et resserre ses liens ; (4, 400) toutes ses ruses à la fin tomberont, brisées par tes mains. Moi-même, quand le soleil à son midi allumera tous ses feux, à l’heure où l’herbe a soif, où l’ombre est plus douce aux troupeaux, je te mènerai dans l’antre secret où le vieillard, las de ses courses sous l’onde, vient se retirer : plongé