Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/249

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leur détresse, le froment à demi-corrompu par l’onde amère et les instruments de Cérès ; le feu va rôtir et la pierre broyer ces grains sauvés du naufrage.

(1, 180) Cependant Énée monte sur un rocher, et jette la vue sur la mer immense, pour découvrir, s’il peut, quelque galère phrygienne, ou celle d’Anthée. ou celle de Capys, ou le pavillon de Caïcus flottant au haut de la poupe. Rien ne paraît ; pas une voile : mais il aperçoit trois cerfs errant sur le rivage ; ils sont suivis par le troupeau tout entier, qui paît en longue file au milieu de la vallée. Énée s’arrête, saisit son arc et ses flèches rapides, que portait le fidèle Achate ; les chefs du troupeau, à la tête altière, (1, 190) à la haute ramure, tombent abattus : ensuite il poursuit de ses traits à travers les bois touffus la troupe dispersée, et ne la quitte pas qu’il n’ait en vainqueur renversé sur la poussière sept grands cerfs, et égalé leur nombre au nombre de ses vaisseaux. De là il retourne au port, et partage entre ses compagnons sa proie sanglante. Les vins dont le bon roi Aceste avait chargé ses vaisseaux sur le rivage de Sicile, et qu’il avait donnés aux Troyens partant de son royaume, leur sont distribués. Alors Énée console par ses discours leurs cœurs affligés. « Compagnons, leur dit-il, ce n’est pas d’aujourd’hui que nous connaissons les maux ; nous en avons supporté de plus rudes : un dieu mettra de même une fin à ceux-ci. (1, 200) Vous avez affronté la rage de Scylla et ses gouffres retentissants ; vous avez visité les terribles rochers des Cyclopes. Rappelez vos courages, et bannissez la tristesse et la crainte : un jour peut-être ces souvenirs vous seront doux. À travers tant d’épreuves, à travers tant de vicissitudes nous courons au Latium, où les destins nous montrent des demeures paisibles ; c’est là qu’il nous sera permis de voir se relever l’empire de Troie. Endurcissez donc vos cœurs à la peine, et conservez-vous pour des jours meilleurs. »

Il dit, et, cachant sous un air d’espérance les grands soucis qui l’oppressent, il renferme dans son sein sa profonde douleur. (1, 210) Cependant les Troyens se livrent aux apprêts de leur sauvage festin. Ils dépouillent les cerfs, et mettent à nu leurs entrailles. Les uns les coupent par morceaux, et enfoncent un bois aigu dans leurs membres palpitants ; les autres placent sur le rivage des vases d’airain, qu’embrase la flamme attisée. Alors ils réparent leurs forces par une ample nourriture, et, couchés sur l’herbe, ils se rassasient de chair sauvage qu’ils arrosent d’un vieux Bacchus. Leur faim satisfaite, et les tables enlevées, ils redemandent par de longs discours leurs compagnons perdus. Suspendus entre l’espérance et la crainte, tantôt ils croient qu’ils vivent encore, tantôt qu’ils ont souffert les dernières extrémités, et qu’ils n’entendent plus leurs compagnons qui les appellent. (1, 220) Le pieux Énée surtout s’attendrit sur le sort cruel et du bouillant Oronte, et d’Amycus. et de Lycus : il pleure et le brave Gyas et le brave Cloanthe.

Enfin Jupiter, laissant tomber du haut des cieux ses regards sur la mer, sur la terre au loin étendue, sur les rivages et sur les peuples épars dans