Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/252

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vents ; (1, 320) nue jusqu’aux genoux, elle avait rassemblé par un nœud les plis de sa tunique flottante. La première elle élève la voix : « Holà, jeunes guerriers ! dit-elle ; n’avez-vous point par hasard aperçu quelqu’une de mes compagnes errante en ces lieux, couverte de la peau tachetée d’un lynx, et portant un carquois, ou pressant de ses cris la fuite d’un sanglier écumant ? » Ainsi parla Vénus, et son fils de lui répondre : « Aucune de vos compagnes n’a été ni vue, ni entendue par nous. Mais de quel nom vous appellerai-je, ô vierge divine ? car ce visage, cette voix ne sont pas d’une mortelle, mais d’une déesse. Êtes-vous la sœur de Phébus, une des nymphes de ces bois ? (1, 330) Soyez-nous propice, qui que vous soyez, et venez en aide à des malheureux : apprenez-nous enfin sous quel ciel, dans quelle contrée de l’univers le sort nous a jetés : ignorant et les lieux où nous sommes, et les peuples qui les habitent, nous errons, poussés sur ces bords par les vents et par les vastes flots. De nombreuses victimes tomberont devant vos autels, sous nos mains reconnaissantes. »

Alors Vénus : « Ces honneurs ne sont pas faits pour moi. C’est la coutume des vierges tyriennes de porter un carquois, et de chausser le haut cothurne de pourpre. Vous êtes dans le royaume de Carthage, chez les Tyriens, et près de la ville d’Agénor. Ces frontières sont celles des Libyens, nation indomptable à la guerre : (1, 340) cet empire obéit à Didon, qui, pour fuir la barbarie d’un frère, s’est exilée de Tyr. L’histoire de ses malheurs est longue, et long en est l’enchaînement : je veux n’en tracer à vos yeux qu’une rapide peinture. Didon avait pour époux Sichée, le plus riche des Phéniciens par les champs qu’il labourait, et pour lequel elle brûlait du plus violent amour. Le roi son père la lui avait donnée vierge encore, et l’avait unie à lui sous les premiers auspices de l’hymen. Mais le frère de Didon, Pygmalion, venait de monter sur le trône de Tyr ; Pygmalion, le plus abominable des scélérats. Soudain éclatent entre les frères de furieuses inimitiés : le tyran, aveuglé par la passion de l’or, surprend Sichée au pied des autels, (1, 350) et d’un bras impie l’assassine en secret, sans s’inquiéter d’une sœur qu’il frappe dans ses amours. Longtemps il cacha son crime, et, inventant mille fables odieuses, il amusa par de vaines espérances la douleur d’une amante infortunée. Mais l’ombre de Sichée privé de sépulture apparut en songe à Didon, et devant elle le spectre se dressa pâle d’une pâleur effrayante : il lui montra l’autel homicide où il était tombé, sa poitrine percée d’un fer sanglant, et lui dévoila tout le ténébreux mystère de ce crime domestique. Alors il lui conseille de se hâter de fuir, et de s’éloigner de sa patrie ; et, pour l’aider dans sa fuite, il lui découvre sous la terre d’anciens trésors enfouis, des monceaux d’or et d’argent. (1, 360) Agitée par ces visions, Didon se préparait à fuir, et déjà pressait ses compagnons d’exil. Aussitôt se rassemblent autour d’elle tous ceux que rallie ou la haine mortelle qu’ils portent au tyran, ou la peur violente de la tyrannie. Des vaisseaux étaient prêts dans le port ; ils s’en saisissent : on emporte sur les ondes les trésors ravis aux mains avides de Pygmalion : une femme a tout conduit. Les exilés de Tyr abordèrent aux lieux où vous