Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/255

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industrieuses, il voit représentés sur la toile la longue série des combats d’Ilion, et les guerres que la renommée a déjà publiées par toute la terre ; il voit le fils d’Atrée, Priam, et Achille si terrible à l’un et à l’autre. Énée à cette vue s’arrête, et s’écrie en pleurant : « Quel lieu, ô Achate, (1, 460) quelle contrée de la terre n’est pas déjà pleine de nos malheurs ? Voici Priam : ici donc la gloire a aussi sa récompense : ici il y a des larmes pour les maux, et les choses humaines touchent les cœurs mortels. Rassurons-nous ; cette renommée d’Ilion sera notre salut en ces lieux. » Il dit, et repaît ses yeux et son âme de ces vaines images, gémissant de douleur, et inondant son visage d’un torrent de larmes. Là il voyait se combattre autour de Pergame les Grecs et les Troyens, d’un côté les Grecs fuir, de l’autre les presser les guerriers d’Ilion : ailleurs les Phrygiens fuyaient devant le char et l’aigrette menaçante d’Achille. (1, 469) Non loin de là, il reconnaît en pleurant les blancs pavillons de Rhésus, et ce camp des Thraces que le fils de Tydée, après l’avoir lâchement surpris vers la première heure du sommeil, ravageait et remplissait de carnage : Diomède emmène dans son camp les coursiers ardents de Rhésus, avant qu’ils aient goûté des pâturages de Troie, et bu des eaux du Xanthe. Près de là fuit désarmé Troïle, malheureux enfant qui osa provoquer Achille à une lutte inégale : emporté par ses coursiers, il reste renversé sur son char vide, et tenant encore les rênes ; sa tête et ses cheveux sont traînés sur l’arène, et la lance qui l’a percé marque la poussière d’un sillon sanglant. (1, 479) Voilà que les Troyennes, les cheveux épars, allaient au temple de Pallas irritée ; tristes et suppliantes, elles portaient en offrande à la déesse un voile sacré, et se meurtrissaient le sein. Pallas, les yeux immobiles et baissés vers la terre, détournait la tête. Trois fois Achille avait traîné Hector autour des murs d’Ilion, et il vendait pour de l’or ses restes inanimés. Alors Énée laisse échapper de son sein un profond soupir, quand il voit ce char, ces dépouilles, ce corps sanglant de son ami ; quand il voit Priam tendant au vainqueur des mains désarmées. Lui aussi il se retrouve au fort de la mêlée avec les chefs des Grecs ; il reconnaît les phalanges venues des contrées de l’aurore, et les armes du noir Memnon. (1, 490) Il voit l’ardente Penthésilée mener au combat les cohortes de ses Amazones ; il voit briller leurs boucliers en forme de croissant : terrible entre mille et mille combattants, et nouant un baudrier sur son sein découvert, la vierge guerrière ose se mesurer avec des guerriers.

Tandis qu’Énée, admirant ces peintures, y attachait ses yeux ravis, et s’oubliait dans un muet enchantement de la reine de Carthage, la belle Didon s’avançait vers le temple, escortée d’une nombreuse jeunesse. Telle sur les rives de l’Eurotas, ou sur les hauteurs du Cynthe, (1, 499) Diane mène les chœurs de ses nymphes : autour d’elle se pressent en foule mille et mille Oréades, ses compagnes ; la déesse porte un carquois sur l’épaule ; elle marche, et dépasse de sa tête divine toutes ces immortelles ; le cœur de Latone en est pénétré d’une secrète joie : telle paraissait Didon, telle elle s’avançait joyeuse au milieu de ses peuples, animant leurs travaux, et pressant la future grandeur de son empire. Alors,