Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/256

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sous le vestibule de la déesse et à l’entrée même du sanctuaire, elle s’assied, entourée de guerriers, sur un trône élevé. Là, tandis qu’elle dictait ses jugements, proclamait ses lois, et mesurait à ses peuples ou faisait tirer au sort les travaux de la cité nouvelle, tout à coup Énée voit s’avancer au milieu d’une foule immense (1, 510) Anthée, Sergeste, le brave Cloanthe, et les autres Troyens que la noire tempête avait dispersés sur la mer, et jetés à des distances infinies sur des bords étrangers. À cette vue, saisis d’étonnement, de joie et de crainte, Achate et le héros brûlent de toucher la main de leurs compagnons. Mais tout en ces lieux leur est inconnu et trouble leurs esprits. Ils dissimulent, et du sein de la nuée qui les enveloppe ils observent et écoutent, impatients de savoir quel destin a sauvé leurs compagnons, sur quel rivage ils ont laissé la flotte, ce qui les amène en ces lieux : car ils voyaient les chefs de leurs vaisseaux s’avancer en implorant la pitié des Tyriens, et gagner le temple en poussant des cris suppliants. (1, 520) Après qu’ils eurent été introduits devant la reine, et qu’elle leur eut accordé la permission de parler, le plus âgé d’entre eux, Ilionée, s’exprima ainsi d’un ton plein d’assurance : « Grande reine, à qui Jupiter a donné de fonder une ville nouvelle, et de soumettre au frein de vos lois équitables des nations farouches, nous, malheureux Troyens, portés par les vents sur toutes les mers, nous venons vous supplier. Écartez de nos vaisseaux des flammes barbares ; épargnez une race pieuse, et daignez connaître mieux notre triste fortune. Nous ne sommes pas venus dévaster, le fer à la main, le pays des Libyens, ni, ravisseurs de leurs biens, emporter vers le rivage un butin infâme : tant de violence, hélas ! et tant d’orgueil siéraient mal à des vaincus. (1, 530) Il est un lieu (les Grecs le nomment Hespérie), terre antique, au sein fécond, et puissante par les armes. Jadis les Œnotriens l’habitèrent ; et l’on dit qu’après eux de nouveaux peuples l’appelèrent Italie, du nom de leur chef. Là se dirigeait notre course, lorsque, soulevant tout à coup les flots, l’orageux Orion nous poussa sur des écueils cachés ; les vents déchaînèrent leur haleine pétulante ; la mer nous écrasa, et nous fûmes dispersés sur les ondes, jetés contre des rochers inaccessibles. Un petit nombre des nôtres a pu aborder jusqu’à vos rivages. (1, 539) Mais quelle race inhumaine les habite donc ? Quelle est donc cette terre barbare qui souffre une telle coutume ? Quoi ! nous sommes repoussés de la rive hospitalière ! on s’agite en armes, on nous défend de mettre le pied sur la première terre offerte aux naufragés ! Libyens, si vous méprisez les hommes et leurs armes mortelles, songez du moins qu’il est des dieux qui se souviennent du juste et de l’injuste. Nous avions pour roi Énée, le plus juste, le plus pieux des mortels, le plus vaillant et le plus redoutable des guerriers. Si les destins nous conservent ce héros, s’il goûte encore la lumière éthérée, et s’il n’est pas encore plongé dans les cruelles ombres de la mort, ne craignez pas, grande reine, de jamais vous repentir de l’avoir prévenu par vos bienfaits. Nous avons encore pour nous les villes de la Sicile, (1, 550) les armes de ses peuples, et leur roi, l’illustre Aceste, issu du sang