Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/257

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troyen. Souffrez que nous tirions à terre nos vaisseaux fracassés par les vents, et que nous réparions avec le bois de vos forêts nos carênes et nos rames brisées. S’il nous est encore réservé de pousser notre course vers l’Italie, après avoir retrouvé nos compagnons et notre roi, nous voguerons joyeux vers l’Italie et vers le Latium. Mais si tout espoir de salut est perdu pour nous, si la mer de Libye te roule dans ses abîmes, ô toi le père des Troyens, le meilleur des rois, s’il nous faut même désespérer d’Iule, qu’au moins nous regagnions la terre de Sicile, et ces demeures toutes préparées qui nous y attendent, et d’où nous venons ; que nous puissions revoir le bon roi Aceste. » (1, 559) Ainsi parla Ilionée, et tous les Troyens d’applaudir par un murmure flatteur.

Alors Didon, les yeux baissés, répondit en peu de mots : « Troyens, rassurez-vous, et bannissez toute inquiétude vaine. Les durs commencements de mon nouvel empire me forcent à ces rigueurs, et veulent que j’étende au loin ma surveillance sur mes frontières. Qui ne connaît pas les Troyens et leur ville fameuse ? Qui n’a pas entendu parler de vos guerriers, de leurs exploits, de l’incendie d’une si grande guerre ? Nos Tyriens n’ont pas l’esprit si grossier, et le Soleil n’attelle pas ses coursiers si loin de Carthage. Soit donc que vous ayez dessein de vous rendre dans la grande Hespérie et dans les champs de Saturne ; (1, 570) soit que vous vouliez retourner en Sicile, dans le royaume d’Aceste, j’assurerai votre libre retraite, et je vous aiderai de mes secours. Aimez-vous mieux vous fixer ici avec moi dans le même royaume ? la ville que je bâtis est la vôtre ; amenez vos vaisseaux sur ce rivage ; Troyens et Tyriens seront égaux pour moi. Plût au ciel que, poussé sur nos bords par les mêmes vents, votre roi lui-même, Énée, fût au milieu de nous ! Je vais envoyer le long de ces rivages, et faire chercher jusqu’aux confins de la Libye la trace de ses pas : peut-être que, rejeté par les flots, il erre dans les forêts ou dans les villes africaines. »

Relevés par ces paroles, le brave Achate (1, 580) et Énée brûlaient depuis longtemps d’impatience de percer le nuage qui les environnait. Achate le premier s’adressant à Énée : « Fils de Vénus, lui dit-il, quelle pensée s’élève maintenant dans votre esprit ? Vous voyez : tout est en sûreté ; notre flotte, nos compagnons nous sont rendus : un seul nous manque, celui que la mer engloutit à nos yeux dans ses abîmes. Jusqu’ici tout répond aux prédictions de votre mère. » À peine avait-il parlé, que le nuage répandu autour d’eux s’entr’ouvre, et se dissipant fait place à l’air transparent des cieux. Énée paraît, et resplendit d’une lumière éblouissante ; (1, 589) sa figure, ses épaules sont d’un dieu. Sa mère elle-même avait embelli sa chevelure, et d’un souffle de sa bouche répandu sur le front et versé dans les yeux de son fils le vif éclat de la jeunesse, et les grâces heureuses des immortels. Ainsi la main de l’ouvrier donne à l’ivoire un lustre nouveau ; ainsi reluit enchâssée dans l’or et l’argent la pierre de Paros. Alors Énée, apparaissant tout à coup aux regards surpris de l’assemblée,