Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/263

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malheureux des hommes ? Pour moi plus de refuge auprès des Grecs ; et voici que les Troyens irrités demandent et mon supplice et mon sang !" Ces accents plaintifs changent tout à coup les esprits, et font tomber leurs mouvements impétueux. Nous l’exhortons à parler, à nous dire sa naissance, ce qu’il prétend, et si nous pouvons nous fier à la parole d’un captif. Enfin, revenu de sa frayeur, il s’exprime en ces termes :

"Grand roi, quoiqu’il puisse m’arriver, je vous dirai toute la vérité. Et d’abord je ne nierai pas que la Grèce est ma patrie. Si la cruelle fortune a fait de Sinon un malheureux, (2, 80) au moins elle n’en fera ni un menteur, ni un fourbe. Peut-être avez-vous entendu parler de Palamède, issu du sang de Bélus, et le nom et la gloire de ce guerrier fameux sont-ils venus jusqu’à vos oreilles : faussement accusé de trahison, perdu par un témoignage infâme, les Grecs le firent mourir, parce qu’il s’élevait contre la guerre ; il était innocent ; aujourd’hui qu’il ne voit plus la lumière, ils le regrettent. Mon père, qui était pauvre, et que les liens du sang unissaient à lui, m’envoya dès mes plus jeunes ans chercher ici sous ses ordres la gloire des armes. Tant que Palamède vécut et soutint son rang suprême, tant qu’il fit fleurir par ses conseils la puissance des Grecs, un peu de sa renommée et de son éclat rejaillit sur moi. (2, 90) Mais depuis que par la haine jalouse du perfide Ulysse (la voix publique le redit avec moi) il a disparu du séjour de la lumière, j’ai traîné dans le deuil une vie obscure et misérable, m’indignant au fond de mon cœur du coup qui frappait un ami innocent. Insensé, je n’ai pu me taire : j’ai juré, si le sort me secondait, si jamais je rentrais vainqueur dans Argos ma patrie, de me porter le vengeur de Palamède ; et par mes discours j’ai soulevé contre moi des haines furieuses. De là tous mes malheurs : dès lors Ulysse de me poursuivre de mille accusations effrayantes, de répandre dans la multitude mille soupçons calomnieux, de chercher des armes et un complice à sa haine ; (2, 100) et en effet il ne respira plus jusqu’au moment où Calchas lui prêtant son ministère... Mais pourquoi ces récits superflus, et qui peut-être vous importunent ? Pourquoi parlerais-je encore, si tous les Grecs sont les mêmes à vos yeux, et si vous êtes fatigués de m’entendre ? Que tardez-vous ? versez le sang d’un malheureux : Ulysse s’en réjouirait tant, et les Atrides payeraient si chèrement mon supplice !"

« Ces mots enflamment notre curiosité ; nous le pressons de s’expliquer encore, ne soupçonnant pas l’art affreux de ses discours et toute la fourberie d’un Grec. Lui, d’un air tremblant et la perfidie dans le cœur, poursuit ainsi :

"Souvent les Grecs, las d’une si longue guerre, ont voulu fuir loin d’Ilion abandonné, et retourner dans leur patrie. (2, 110) Plût au ciel qu’ils l’eussent fait ! Souvent les rudes tempêtes de la mer leur fermèrent le chemin des eaux ; souvent ils mirent à la voile, et l’auster les épouvanta. Surtout depuis que s’est dressé sous nos mains ce cheval, ce monstrueux assemblage d’ais enchâssés, les nuages ont grondé dans les cieux. Incertains que résoudre, nous envoyons Eurypyle consulter l’oracle d’Apollon ; et cette triste réponse nous est rapportée du sanctuaire : — Grecs, c’est par le sang et en