Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/267

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la clarté paisible d’une lune amie, le rivage de Troie, qui leur était si connu : le vaisseau d’Agamemnon avait élevé des feux sur sa poupe royale. Alors Sinon, protégé par les destins ennemis d’Ilion, ouvre furtivement aux Grecs, enfermés dans les flancs du cheval, la barrière de sapin qui les retenait : le colosse mis à découvert les vomit à la lumière ; (2, 260) et de ses cavités béantes s’échappent avec transport, en se laissant glisser le long d’un câble, Thessandre, Sthénélus, le cruel Ulysse, Acamas, Thoas, Néoptolème ; et des premiers, Machaon, Ménélas, et Épéus, l’inventeur de l’affreux stratagème. Ils envahissent la ville ensevelie dans le vin et le sommeil, massacrent les gardes, ouvrent les portes, introduisent leurs compagnons dans la ville, et se rallient à leurs bataillons conjurés.

« C’était l’heure où le sommeil, doux présent des dieux, commence pour les malheureux mortels, et leur verse ses premières langueurs. (2, 270) Soudain je crus voir en songe Hector : il m’apparut, le visage défait par la tristesse, les yeux inondés de larmes, et tel qu’autrefois je l’avais vu traîné par les coursiers d’Achille, tout souillé de sang et de poussière, les pieds percés par des courroies, et horriblement gonflés. Hélas ! dans quel état je le revoyais ! qu’il ressemblait peu à cet Hector qui revenait chargé des dépouilles d’Achille, ou la main encore fumante des feux phrygiens qu’il avait lancés sur les vaisseaux des Grecs ! Un sang glacé collait sa barbe et ses cheveux ; et il portait encore les marques des blessures nombreuses qu’il avait reçues autour des murs de sa patrie. Il me sembla que moi-même (2, 280) je lui adressais ces tristes paroles : "Ô vous la lumière de la Dardanie, vous le plus ferme espoir des Troyens, qui vous a si longtemps retenu loin de nous ? De quelles contrées venez-vous, ô Hector, vous tant désiré des Troyens ? Combien des vôtres ont péri dans les combats ! que de maux ont assailli et Troie et ses défenseurs épuisés ! Enfin nous vous revoyons ! Mais quelle main barbare a ensanglanté votre front si pur ? Pourquoi ces cruelles blessures ?" Il ne me répond rien, et ne paraît pas touché de mes vaines questions ; mais, poussant un profond soupir : "Ah ! fuis, me dit-il, fils d’une déesse, fuis, et arrache-toi aux flammes qui t’environnent ! (2, 290) L’ennemi est dans nos murs ; Troie tombe du faîte de ses grandeurs. Nous avons assez fait pour notre patrie et pour Priam. Si Pergame avait pu être sauvé par un bras mortel, il l’eût été par le mien. Troie te confie ses dieux tutélaires, et leurs images sacrées : qu’elles accompagnent tes destins fugitifs ; cherche-leur un asile, quelque grande cité que tu bâtiras enfin, après avoir erré sur toutes les mers." Il dit, et emporte lui-même la statue de la puissante Vesta, et son bandeau sacré, et le feu éternel conservé dans son sanctuaire.

« Cependant des bruits confus et lugubres remplissent l’enceinte de nos murailles ; (2, 299) et quoique la maison de mon père Anchise fût située dans un lieu écarté, et qu’un bois la couvrît de son ombre, les cris de plus en plus éclatants y pénètrent, et le fracas des armes fond de plus près sur nous. Je m’éveille en sursaut ; d’un bond je monte au faîte du palais, et, l’oreille inquiète, j’écoute. Ainsi, quand la flamme poussée par le furieux auster s’abat sur les moissons,