Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/268

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ou lorsqu’un torrent rapide, grossi des eaux de la montagne, noie la plaine, couche les riantes moissons, ruine les travaux des bœufs, et entraîne dans ses ondes les forêts précipitées, le berger, stupide d’épouvante, écoute du haut d’un rocher ces bruits lointains, et n’en sait pas la cause. Alors tout est connu, alors apparaissent au jour les embûches des Grecs. (2, 310) Déjà s’est écroulée la vaste maison de Déiphobe, envahie par les flammes ; déjà brûle des mêmes feux celle d’Ucalégon : l’incendie reluit au loin sur la plage de Sigée. On entend se mêler dans les airs et les cris des guerriers et les sons des clairons. Je saisis mes armes avec rage ; mais que peuvent mes armes dans mes mains désespérées ? Je brûle de ramasser une poignée de braves, de courir à la citadelle avec mes compagnons : la colère et la fureur précipitent mes esprits ; je ne sais plus que mourir glorieusement les armes à la main.

« Tout à coup je vois Panthée qui fuyait, échappé aux traits des Grecs ; Panthée Othryades, prêtre d’Apollon et gardien de la citadelle. (2, 320) Il portait dans ses mains les vases sacrés, et, traînant avec lui ses dieux vaincus et son petit-fils, il courait éperdu vers le rivage. "Panthée, m’écriai-je, en quel état sont nos affaires ? Sauverons-nous la citadelle ? Hélas ! me répondit-il, il est venu ce jour inévitable, le dernier de cet empire ! Ilion n’est plus ; ils ne sont plus les Troyens et leur gloire immense ! l’impitoyable Jupiter a tout transporté à Argos ; les Grecs dominent dans Troie embrasée. Leur gigantesque cheval, au milieu même de nos murailles, vomit des soldats de ses flancs, et Sinon vainqueur sème l’incendie (2, 330) en nous insultant ; des milliers d’ennemis se pressent aux portes ouvertes ; jamais il n’en est tant venu de la grande Mycènes. Les uns, le javelot à la main, occupent tous les passages : partout le fer tranchant, et la pointe des dards tournée contre nos poitrines, font briller la mort ; à peine les premiers gardes se défendent aux portes, et résistent dans l’ombre."

« Ces paroles de Panthée me transportent, et, les dieux m’inspirant, je me jette au milieu des armes et des flammes, partout où m’appellent et la triste érynnis, et les courages frémissants, et les clameurs qui s’élèvent aux cieux. Bientôt, à la clarté de la lune, se joignent à moi Rhipée, Épytus le plus vieux de nos guerriers, Hypanis, et Dymas, (2, 341) qui se serrent à nos côtés : le jeune Corèbe aussi est des nôtres ; Corèbe fils de Migdon, épris d’un fol amour pour Cassandre ; il était venu à Troie dans ces tristes jours pour briguer la main de la fille de Priam, et pour offrir son secours aux Phrygiens : malheureux amant, qui ne voulut pas croire son amante inspirée !

« Voyant cette petite troupe déterminée à combattre : "Guerriers, leur dis-je, cœurs généreux, mais généreux en vain, (2, 350) vous voyez la déplorable fortune d’Ilion : ils s’en vont de leurs temples, ils abandonnent leurs autels, les dieux par qui subsistait cet empire, hélas ! Et vous ne défendez plus qu’une ville incendiée ! Si donc vous êtes, comme moi, résolus à affronter la dernière chance des batailles, mourons, et jetons-nous