Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/299

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élan impétueux de tout son corps se précipite vers la mer, semblable à l’oiseau qui le long des rivages et des rochers poissonneux vole en rasant la surface des eaux. Ainsi volait entre la terre et les cieux le fils de Maïa, quittant les sommets d’Atlas, son aïeul maternel ; ainsi il effleurait les rivages de la Libye et fendait les airs. À peine de ses pieds ailés a-t-il touché les humbles cabanes du pays de Carthage, (4, 260) qu’il aperçoit Énée posant les fondements des hautes murailles et des édifices de la nouvelle cité : il portait à son côté une épée sur laquelle brillait une étoile de jaspe ; de ses épaules tombait un manteau tyrien étincelant des feux de la pourpre, ouvrage et présent de la riche Didon, et qu’elle-même avait tissu, l’entremêlant de filets d’or. Tout à coup le dieu l’aborde : « Eh quoi ! tu poses les fondements de la haute Carthage, et tu songes, esclave et mari d’une étrangère, à lui bâtir une belle ville ; et tu oublies ton empire et tes grandes destinées ! Le roi des dieux, le maître du ciel et de la terre, m’envoie vers toi du haut du brillant Olympe, (4, 270) et veut que je te porte à travers les espaces de l’air les ordres que voici : Que prétends-tu, Énée, et quel espoir te fait te consumer ainsi d’oisiveté sur la terre libyenne ? Si tu n’es pas touché des magnifiques destinées qui t’attendent, et si tu n’entreprends rien toi-même pour ta propre gloire, songe au moins à ton fils Ascagne, à l’héritier de ta fortune, à ses espérances grandissantes ; souviens-toi que l’empire de l’Italie et la terre de Rome lui sont dus. »

À ces mots, le dieu se dérobe aux regards du faible mortel qui l’écoute encore, et disparaît au loin comme une vapeur légère.

Troublé de cette apparition, Énée reste interdit ; (4, 280) ses cheveux se dressent d’horreur sur sa tête, et sa voix s’arrête sur ses lèvres. Frappé d’un si grand avis des dieux et de leur ordre absolu, il brûle de partir, et de quitter en fugitif ces doux lieux. Hélas ! que faire ? De quel air osera-t-il aborder une amante en fureur ? par quel détour ? que lui dire, et par où commencer ? Mille projets partagent son âme irrésolue, l’entraînent en tous sens, l’agitent et la bouleversent. De désespoir enfin, il s’arrête à ce parti. Il fait appeler Mnesthée, Sergeste, et le brave Cloanthe : (4, 289) il leur dit d’équiper la flotte en silence, de préparer leurs armes, de rassembler leurs compagnons sur le rivage, et de leur cacher la cause de ces mouvements extraordinaires ; lui, tandis que la trop confiante Didon ignore ses desseins et ne s’attend pas à ce qu’un si grand amour puisse se rompre, tentera près d’elle quelque accès, épiera les moments les plus propices pour lui parler, les voies les plus délicates pour l’amener à ses projets. Les Troyens obéissent à ses ordres avec joie, et sur-le-champ les exécutent.

Mais la reine (qui peut tromper une amante ?) pressentit la ruse, et la première comprit les mouvements qui se préparaient autour d’elle : elle craint tout, et le calme de son propre cœur. Déjà ses fureurs se ravivent, quand la Renommée, la messagère impie de ses amours, vient lui apprendre qu’on arme la flotte, et qu’on se prépare à mettre à la voile. (4, 300) Alors elle éclate en