Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/31

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qui laissent à peine croire que ce fut un enfant des hommes.

Mais quoique Empédocle et les autres dont j’ai parlé plus haut, et qui lui sont de beaucoup inférieurs sous mille rapports, aient trouvé avec une sagesse divine tant de belles choses, et que, du sanctuaire de leur génie, ils aient rendu des oracles plus sacrés et plus infaillibles que ceux (1, 740) que la Sibylle tire du trépied saint et des lauriers de Phébus, ils ont tous échoué sur les éléments, comme sur un écueil, et ces grands esprits y ont fait un grand naufrage. D’abord, ils admettent le mouvement et rejettent le vide du monde ; ils y laissent des substances molles et poreuses, comme l’air, le soleil, le feu, la terre, les animaux, les fruits, et cependant ils ne les mêlent pas de vide. Ensuite, ne marquant aucune fin au partage des êtres, aucun repos à leur fragilité, ils ne voient rien qui soit de moindre volume. (1, 750) Or, nous apercevons mille corps réduits à un point qui paraît à nos organes infiniment petit ; et tu peux en conclure que leurs débris invisibles aboutissent enfin au terme de la petitesse.

De plus, puisque les éléments établis par ces philosophes sont des substances molles, qui naissent et qui meurent tout entières, il faut que les êtres retournent au néant, et que le néant ressuscite la nature ; mais tu sais déjà combien ces deux choses sont bien loin de la vérité.

(1, 760) Ensuite ces éléments sont ennemis, et comme des poisons les uns pour les autres : ils doivent donc ou périr quand ils se rassemblent, ou se disperser comme se dispersent la foudre, les vents et la pluie, chassés par la tempête.

Enfin, puisque vous dites que tous les corps naissent de quatre choses, et que tous les corps y retournent après leur ruine, pourquoi ces choses peuvent-elles passer pour les éléments des autres, plutôt que les autres ne passent pour leurs éléments ? car elles se produisent tour à tour, et elles échangent sans cesse leur forme et leur nature. (1, 770) Mais si tu crois que le feu et la terre peuvent unir leur substance au souffle de l’air et à la rosée de l’onde, sans que ce mélange les altère, ils ne pourront du moins rien produire, ni être vivant, ni corps inanimé, parce que chacun déploiera sa nature dans cet amas divers, et que nous y verrons de l’air et du feu mêlés à de la terre et à de l’eau ; et il faut, au contraire, que les éléments emploient à former les êtres une substance mystérieuse et invisible, (1, 780) de peur que le principe ne se montre partout, et ne s’oppose à ce que chaque être ait sa nature propre.

Bien plus, ils font tout naître du ciel et de ses feux : le feu se change le premier en air ; l’air enfante l’eau, l’eau forme la terre ; puis la terre les reproduit tous, en remontant la chaîne, l’eau d’abord, ensuite l’air, et enfin le feu ; et ils ne cessent de se transformer ainsi, et de voyager