Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/313

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et la proue fracassée demeure suspendue. Les matelots se lèvent tous ensemble, et, poussant un grand cri, s’arrêtent : on s’arme de crocs de fer, de longs pieux à la pointe acérée ; on recueille çà et là les débris flottants des rames. (5, 210) Cependant Mnesthée, que réjouit le malheur de Sergeste, s’enflamme par le succès ; ses rameurs redoublent de vitesse ; il invoque les vents, glisse sur la mer, et s’emporte à travers l’espace libre des eaux. Telle, dans le creux de la roche poreuse où elle a sa demeure et sa douce couvée, une colombe troublée tout à coup prend son essor vers la plaine, et dans son épouvante bat de l’aile au-dessus de son nid avec un bruit immense ; bientôt glissant dans l’air tranquille, elle rase le liquide azur, et ne fait qu’y soutenir son vol rapide. Ainsi Mnesthée s’élance ; ainsi la Baleine échappée fend les flots au bout de la carrière ; ainsi l’emporte son essor impétueux. (5, 220) D’abord elle laisse derrière elle Sergeste luttant contre les écueils, tâchant de se dégager des bancs de sable, implorant en vain du secours, et essayant de se remettre à flot avec ses débris de rames. De là Mnesthée poursuit Gyas, et la vaste et pesante Chimère, qui, dépourvue de son pilote, lui a bientôt cédé.

Cloanthe restait seul, et il avait presque achevé sa course : Mnesthée fond sur lui, et le presse de toute la force de ses rames. Alors redoublent les cris des spectateurs ; alors on l’encourage par mille vœux ardents ; le ciel retentit d’un immense fracas. Ceux de la galère de Cloanthe comptent pour rien leur avantage et un honneur déjà conquis, (5, 230) s’ils ne les gardent ; et ils veulent cent fois mourir pour la gloire. Le succès nourrit l’ardeur des matelots de Mnesthée ; ils peuvent vaincre, parce qu’ils croient le pouvoir. Et peut-être les deux galères allaient à proues égales saisir le prix de la victoire, si Cloanthe, étendant ses bras vers les eaux, ne se fût répandu en prières, et n’eût invoqué les dieux de la mer : « Divinités qui avez l’empire de ces mers où je cours, je vous immolerai avec joie, oui, j’en fais le vœu, un taureau blanc sur ce rivage, au pied de vos autels ; je jetterai les entrailles de la victime dans les flots amers, et j’y répandrai le vin des libations. » Il dit, et du fond des eaux tout (5, 240) le chœur des Néréides et de Phorcus, et la Nymphe Panopée, entendirent sa voix. Palémon lui-même de sa puissante main pousse la galère, qui, plus rapide que le Notus ou que la flèche légère, vole vers le rivage, et s’enfonce dans le port.

Alors le fils d’Anchise, après avoir appelé tous les combattants, selon la coutume, fait proclamer par la voix retentissante du héraut Cloanthe vainqueur, et le couronne lui-même du laurier verdoyant. Il fait ensuite distribuer à chaque galère trois jeunes taureaux, au choix des combattants, des vins, et des talents d’argent. Les chefs reçoivent de lui des récompenses d’un prix plus relevé. (5, 250) Au vainqueur il donne une chlamyde tissue d’or, où serpente en un double contour la pourpre mélibéenne. On y voyait représenté l’enfant royal des forêts de l’Ida ; un javelot à la