Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/317

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soulève ce couple prodigieux, en manie les immenses nœuds çà et là déroulés. Alors le vieil Entelle : (5, 410) « Et que serait-ce donc si vous eussiez vu les cestes, les armes d’Hercule lui-même, et ce triste et fameux combat livré sur ce même rivage ? C’étaient là les armes que portait jadis votre frère Éryx ; voyez, elles sont encore souillées des restes sanglants des crânes fracassés. Ce fut avec ces armes qu’il tint ferme contre le grand Alcide ; c’étaient aussi les miennes, lorsqu’un sang plus vif entretenait mes forces, et que la vieillesse ennemie ne s’était pas encore répandue sur mes tempes blanchissantes. Mais si Darès se retire devant nos armes, et si le pieux Énée et Aceste, à la voix de qui j’ai cédé, ont à cœur d’égaliser la lutte, je le veux bien, Darès, et je te fais grâce des cestes d’Éryx : (5, 420) rassure-toi donc, et à ton tour dépouille les cestes troyens. » À ces mots, il rejette de ses épaules sa double tunique, met à nu ses membres énormes, ses grands os, ses redoutables bras, et se pose, athlète immense, au milieu de l’arène. Alors Énée fait apporter des cestes égaux, et lui-même les enlace aux bras des deux rivaux appareillés.

Tous deux aussitôt, les poings en avant, se dressent sur leurs pieds, et lèvent en l’air leurs bras intrépides. Et d’abord ils rejettent loin des coups leur tête relevée en arrière ; bientôt leurs mains se mêlent, et ils engagent la lutte. (5, 430) L’un, plus léger, plus agile, a l’avantage de la jeunesse ; l’autre, plus ramassé dans ses membres, se défend par sa masse, mais il chancelle sur ses genoux engourdis et tremblants, et sa pénible haleine bat ses vastes flancs. Longtemps l’un et l’autre se portent mille coups perdus ; les cestes précipités tantôt tombent sur leurs flancs creux, tantôt retentissent sur leurs poitrines ébranlées ; on voit errer autour de leurs oreilles et de leurs tempes leurs mains infatigables ; leurs joues crient sous la dure et pesante lanière. Entelle, qu’affermit son propre poids, demeure immobile dans le même effort, et par d’adroits mouvements, par un vigilant coup d’oeil, ne fait qu’esquiver les coups. Darès, semblable au guerrier qui assiège les remparts élevés d’une ville, (5, 440) ou qui, posté sous les armes, investit un fort au haut d’un mont, épie tantôt un accès, tantôt un autre, parcourt la place en tout sens, l’enveloppe de son art, et la presse de mille assauts impuissants. Entelle se dresse, déploie son bras droit et le lève en l’air ; Darès voit venir d’en haut le coup, et par un vif écart s’y dérobe. Entelle perd son effort dans les airs, et, de lui-même entraîné, il tombe à terre de tout son vaste poids : ainsi au sommet de l’Érymanthe et de l’Ida tombe avec ses racines un pin creux de vétusté. (5, 450) Troyens et Siciliens, tous se lèvent émus ; un immense cri monte au ciel : Aceste le premier accourt ; vieux, il plaint son vieil ami tombé, et l’aide à se relever. Mais le héros, que sa chute n’a ni affaibli ni épouvanté, revient plus furieux au combat ; la colère, la honte, le sentiment de la gloire ont irrité son courage et rallumé son sang ; et voilà que, plus impétueux,