Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/323

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des destinées : (5, 710) quoi qu’il arrive, il faut surmonter toute fortune par la patience. Vous avez un ami fidèle dans le Troyen Aceste, issu, comme vous, du sang des dieux ; consultez-le, faites qu’il consente à entrer dans vos projets. Confiez à sa bonté ceux des vôtres qui surchargeraient le reste des vaisseaux, ceux qu’ont rebutés les commencements de votre haute et laborieuse fortune, ces vieillards languissants, ces femmes fatiguées de la mer, toute cette foule impuissante, et qu’effrayent les périls : laissez-la se détacher de vous, et se reposer ici, à l’abri de ces murailles, des fatigues de l’exil ; et qu’elle appelle Acesta, du consentement d’Aceste, la ville qu’elle bâtira. »

Ce discours du sage vieillard ranime le héros ; (5, 720) mais son esprit n’en est pas moins déchiré par les soucis. Déjà la Nuit, portée sur son char, parcourait sa sombre carrière, quand l’âme d’Anchise descendue des cieux apparut à Énée, et lui fit entendre ces paroles inespérées : « Ô mon fils, toi que vivant j’aimais plus que la vie ; toi qu’exercent depuis si longtemps les destins d’Ilion, je viens ici par l’ordre de Jupiter, qui a écarté les flammes de ta flotte, et qui du haut de l’Olympe te regarde enfin d’un œil de pitié. Suis les conseils salutaires du vieux Nautès ; que l’élite seulement de tes Troyens, que les cœurs les plus vaillants, (5, 730) te suivent en Italie : une race farouche et indomptable t’attend dans le Latium, où tu auras à la combattre. Mais avant il faut que tu pénètres jusqu’aux demeures infernales, et que, passant le profond Averne, tu ailles, ô mon fils, y visiter ton père. Car je n’habite pas le Tartare impie, ni parmi les tristes ombres, mais avec les âmes pieuses, dans le délicieux Élysée ; c’est là que la chaste Sibylle te conduira, sanctifié par le sang des noires victimes ; c’est là que tu connaîtras toute ta postérité, et quelles murailles te seront données. Adieu ; voici que du milieu de sa carrière la Nuit humide glisse au penchant des cieux, et que l’Orient me souffle la dévorante haleine de ses coursiers haletants. » (5, 740) Il dit, et, comme une vapeur légère, disparaît dans les airs. Mais Énée : « Où se précipite, ô mon père, où s’échappe ton ombre évanouie ? Qui fuis-tu ? qui t’arrache ainsi à mes embrassements ? » En même temps il réveille les feux de son foyer assoupis sous la cendre, offre un gâteau sacré aux pénates de Pergame, et à la chaste Vesta qu’il adore dans son sanctuaire ; et, répandant l’encens à pleines mains, il invoque en suppliant les dieux domestiques. Aussitôt il convoque ses compagnons et Aceste le premier, et leur expose la volonté suprême de Jupiter, les conseils de son père chéri, et ses propres résolutions : on l’approuve ; Aceste consent à tout. (5, 750) On destine pour habiter la nouvelle ville, et on dépose sur le rivage sicilien, les femmes, et tous ceux qui veulent bien demeurer ; cœurs nullement touchés de l’amour de la gloire. Les autres Troyens réparent les bancs des navires, rétablissent les bois consumés par la flamme, et garnissent les galères de rames et de cordages : ils ne sont qu’une poignée, mais c’est la fleur des bouillants courages.

Cependant Enée trace avec la charrue l’enceinte d’une ville ; le sort assigne à chacun sa mai-