Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/342

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au contact des corps terrestres qu'elle anime, et des membres mortels. De là les passions, la crainte, les désirs, la douleur, et la joie, tant que les âmes enfermées dans les ténèbres et dans l'obscure prison des corps ne voient pas la pure lumière. Et même au dernier jour, quand la vie les a abandonnées, elles n'ont pas rejeté hors d'elles tout reste de misère, et toutes les souillures qu'elles retiennent des corps ; et il est nécessaire que beaucoup de ces vices impurs subsistent longtemps en elles et achèvent de s'y invétérer. (6,739) Ici donc le châtiment les éprouve, et elles expient par des supplices divers leurs anciens crimes. Les unes, suspendues dans les airs, sont le jouet des vents ; les autres, plongées dans un vaste gouffre, s'y lavent de leurs souillures criminelles, ou s'épurent dans le feu. Chacune de nos âmes souffre ici sa peine : de là nous passons dans le vaste Élysée ; c'est le petit nombre qui habite ces campagnes charmantes. Enfin après de longs jours, et lorsque le temps marqué pour l'épreuve a achevé d'effacer des âmes l'empreinte invétérée de leurs désordres, elles redeviennent de simples et pures essences éthérées, un feu subtil et céleste. Après mille ans révolus, un dieu les appelle toutes, et conduit leur foule immense vers le Léthé, afin qu'ayant savouré l'oubli dans ses eaux, (6,750) elles aillent revoir la voûte des cieux, et que le désir leur vienne de retourner dans de nouveaux corps. »

Il dit, et entraîna son fils et la Sibylle au milieu de la foule émue et bruyante des ombres. Il monta sur une éminence, d'où il pouvait les voir venir à lui en longue file, et les reconnaître toutes à leurs traits. « Maintenant, dit-il à Énée, je vais te révéler la fortune glorieuse réservée à la race de Dardanus ; je vais te montrer toute ma postérité italienne, toutes ces âmes illustres, et qui doivent perpétuer notre nom ; je vais t'apprendre tes propres destinées. (6,760) Ce jeune homme que tu vois appuyé sur un sceptre est le premier dont le sort a marqué la place dans les régions de la lumière : né de mon sang et du sang italien, il s'élèvera le premier à la clarté des cieux ; c'est Silvius, nom albain, ton fils que tu ne verras pas naître. Fruit tardif de ta vieillesse, il sera élevé dans les forêts par ton épouse Lavinie ; il sera roi et père de rois : de lui sortiront tous ceux de notre race qui régneront dans Albe la Longue. Après lui Procas sera la gloire de la nation troyenne. Voici Capys, et Numitor, et Silvius Énée, qui rendra à l'Italie ton nom, ta piété et ta valeur (6,770) insignes, si jamais il règne dans Albe. Quels jeunes gens ! quel air de vigueur ! Mais ceux-là dont le chêne au feuillage civique ombrage le front seront les fondateurs de Nomente, de Gabie et de Fidène : d'autres élèveront sur le sommet d'une montagne les murs de Collatie, qu'immortalisera la pudeur ; par eux seront encore bâtis la superbe Pométie, les remparts d'Inuus, de Bole et de Cora : lieux célèbres un jour, aujourd'hui terres sans nom.

« Voici Romulus, fils du dieu Mars et d'Ilie issue du sang d'Assaracus, qui prêtera le secours de son bras vengeur à son aïeul Numitor. (6,780) Vois-tu ces deux aigrettes qui se dressent sur