Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/357

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puis que j’ai arrosé les Troyens du sang de l’Ausonie. Je ferai plus encore, si vous m’assurez de votre puissante volonté : j’irai par de sinistres rumeurs soulever les villes voisines, (7, 550) et j’enflammerai les cœurs de l’amour insensé de la guerre ; si bien que toute l’Ausonie viendra au secours des Latins ; je couvrirai les champs d’armes et de soldats. » « Non, répondit la fille de Saturne ; c’est assez de ruses et d’alarmes : ils ont un sujet de guerre ; les voila aux prises ; et ces armes que le hasard leur a mises entre les mains, un premier sang les a rougies ; que ce soient là les auspices sous lesquels le noble fils de Vénus et le roi Latinus lui-même célèbrent leur hymen. Mais toi, tu ne pourrais errer plus longtemps au-dessus des espaces éthérés ; le souverain maître de l’Olympe ne le souffrirait pas. Retire-toi ; ce que les événements me laisseront à faire, (7, 560) je le ferai moi-même. » Ainsi parla la fille de Saturne. La Furie secoue les serpents qui sifflent sous ses ailes déployées, et, regagnant les bords du Cocyte, descend du haut des airs.

Au milieu de l’Italie et au pied des plus hautes montagnes est un lieu célèbre et renommé par toute la terre ; c’est la vallée d’Amsancte : des deux côtés la pressent de leurs noirs ombrages des bois touffus qui s’étendent sur le revers des monts, et elle est traversée par un torrent qui, battant les rochers de ses ondes tortueuses, s’y abîme avec fracas. Là se voit une caverne, affreux soupirail du sombre empire de Pluton, gouffre immense par où l’Achéron débordant (7, 570) ouvre une issue à ses exhalaisons empestées : là l’odieuse Furie se plonge, et délivre enfin la terre et les cieux de ses fureurs.

Cependant Junon met la dernière main à la guerre. Déjà la troupe innombrable des pasteurs court à Laurente, emportant le corps du jeune Almon et celui du vieux Galésus, dont le visage est souillé de sang : tous ils implorent les dieux et conjurent le roi. Turnus paraît, et, triomphant de la clameur publique et du sang versé, il augmente encore la terreur par des discours qui ne respirent que le sang et l’incendie : « Voilà, s’écrie-t-il, ces Troyens qu’on appelle à succéder au trône ; on s’allie à des Phrygiens, et moi on me chasse du seuil des rois. » (7, 580) Bientôt les fils de ces femmes qui, frappées de l’esprit de Bacchus, erraient à travers les forêts profondes et se démenaient dans les orgies, se rassemblent de toutes parts, et fatiguent Mars de leurs cris furieux. Tous, contre les présages célestes, contre l’arrêt des destins, demandent une guerre sacrilège et condamnée par les dieux ; tous assiègent les portes du palais de Latinus. Celui-ci leur résiste, calme et inébranlable comme un rocher au milieu de la mer : les vents viennent le battre avec fracas, les vagues accumulées mugir autour de ses flancs ; (7, 589) il se soutient par sa masse ; et, tandis que les écueils semés à ses pieds frémissent blanchis par l’écume, il brise et refoule l’algue impuissante. Enfin quand il voit qu’il ne peut surmonter l’aveugle fureur des esprits, et que tout va au gré de la cruelle Junon, il prend à témoin les dieux et l’air qu’il respire : « Hélas ! s’écrie-t-il, nous sommes écrasés par les destins, emportés par la tempête. Vous payerez, malheureux La-