Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/379

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coursier, tourne les remparts, et cherche quelque endroit inaccessible à forcer. (9, 59) Tel au milieu de la nuit un loup, endurant et la pluie et les vents, rôde autour d’un bercail plein, et frémit aux portes : les agneaux, en sûreté sous leurs mères, bêlent ; mais lui, que leur bêlement irrite et enflamme de rage, écume contre sa proie absente : une furieuse faim qu’il a depuis longtemps amassée le fatigue de son aiguillon, et son gosier desséché a soif de sang. Ainsi Turnus, en voyant le camp troyen et ses retranchements inabordables, sent s’allumer sa colère ; un féroce dépit brûle les os du guerrier. Que faire ? Quel accès tenter ? Comment arracher les Troyens à leurs murs ? comment les rejeter dans la plaine ? Leur flotte à l’ancre dans le Tibre, et appuyée à l’un des côtés du camp, (9, 70) était couverte par les retranchements qui la cachaient et par les eaux du fleuve. Turnus court l’attaquer, propose à ses compagnons, que cet appel transporte, de l’embraser, et lui-même dans sa bouillante ardeur arme sa main d’un pin enflammé. Tous alors s’y portent d’un même élan ; la présence de Turnus les anime ; chacun à l’envi s’arme de torches noirâtres, de tisons enlevés des foyers : le pin résineux lance jusqu’aux astres sa fumée lumineuse, et le feu éclate en étincelles volantes.

Quelle divinité, ô Muses, détourna des Troyens un si funeste incendie, et chassa loin de leurs vaisseaux ces immenses feux ? Dites-le-moi. L’événement se perd dans les temps de la crédule antiquité, mais le souvenir en est éternel. (9, 80) Alors qu’Énée, se préparant à traverser les mers, faisait construire ses vaisseaux dans les forêts de l’Ida, on dit que la mère des dieux, la déesse de Bérécynte, tint ce langage à Jupiter : « Accordez, ô mon fils, une grâce à votre mère chérie, de qui vous tenez l’empire de l’Olympe. Sur les sommets de l’Ida s’élève une forêt de pins qui m’est chère depuis de nombreuses années, et que mon culte a consacrée : c’est là sous de noirs ombrages, et sous le ténébreux couvert d’antiques érables, que les Phrygiens venaient m’offrir des sacrifices. Ces arbres, je les ai abandonnés avec joie au héros dardanien, afin qu’il s’en servît pour construire sa flotte : aujourd’hui mon cœur s’alarme et tremble pour cette forêt chérie : (9, 90) calmez les inquiétudes de votre mère, et accordez-lui la faveur qu’elle implore. Que ces arbres ne soient ni ébranlés par les flots qu’ils vont sillonner, ni vaincus par les tourbillons des vents : qu’ils gardent ce saint privilège d’être nés sur mes montagnes. » Le fils de Cybèle, par qui les astres roulent dans les cieux, lui répond en ces termes : « Ô ma mère, pourquoi vouloir forcer les destins ; et que me demandez-vous pour ces navires ? Quoi ! ces carènes formées par la main des mortels seraient donc immortelles comme nous ? Et le seul Énée traverserait impunément les hasards et les périls ? Quel dieu disposa jamais d’une telle faveur ? Voici ce que je vous promets : toutes celles de ces galères qui, au terme de leur course, toucheront aux rivages et aux ports de l’Ausonie, et qui, échappées aux vagues, (9, 100) auront porté le chef des Troyens vers les champs laurentins, je leur ôterai leurs formes mortelles, et je commanderai qu’elles deviennent des déesses de la vaste mer, telles que Doto et Galatée, qui fendent avec leurs seins d’albâtre les flots écumants. » Il dit, jura par le fleuve du roi son frère, par le Styx, par ses torrents de bitume et