Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/382

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treprendre ? (9, 200) Pourrai-je te laisser te jeter seul à travers de si grands périls ? Je ne serais pas le fils du belliqueux Ophelte, moi qu’il a élevé et instruit au milieu des alarmes de la guerre argienne et des horreurs d’Ilion assiégé : et tu ne m’as pas trouvé indigne de toi depuis le jour où j’ai suivi le magnanime Énée et ses destins désespérés. Ce cœur, cher Nisus, ce cœur, je le sens, méprise la vie, et ne croit pas que mourir soit trop payer l’honneur où tu aspires. » — « Je n’ai jamais douté de ton courage, lui répond Nisus ; non, et cela ne m’est pas permis : qu’ainsi puissent et le grand Jupiter, et les dieux qui regardent mon dessein d’un œil favorable, me ramener triomphant vers toi ! (9, 210) Mais tu sais si l’entreprise est pleine de périls ; et si un coup du sort, un dieu ennemi m’entraîne en quelque malheur, je veux que tu me survives : ton âge est plus digne de la vie. Que j’aie un ami qui m’emporte du combat, ou qui me rachète et qui dépose mes restes dans la terre ; ou, si la fortune les lui envie, qui rende à ma dépouille absente les vains honneurs des morts, et la décore d’un tombeau. Que je ne sois pas la cause d’une si grande douleur pour ta malheureuse mère, qui seule entre tant de mères, enfant, a tout bravé pour te suivre, et qui pour toi a dédaigné les murailles hospitalières du grand Aceste. » Mais Euryale : « Tu m’opposes de vains prétextes ; (9, 220) ma résolution est prise ; elle est inébranlable : marchons. » Il dit, éveille les gardes, qui les remplacent et occupent leur poste. Euryale marche aux côtés de Nisus, et tous deux vont trouver Ascagne.

Il était nuit, et tous les êtres animés se reposaient de leurs peines, et oubliaient leurs maux dans le sommeil. Les principaux chefs des Troyens et l’élite des guerriers délibéraient sur les grands intérêts de l’État en péril : que feront-ils ? Lequel d’entre eux sera envoyé vers Énée ? Appuyés sur leurs longues lances, tenant en main leurs boucliers, (9, 230) tous sont debout au milieu du camp. Soudain d’un air animé se présentent ensemble Nisus et Euryale ; ils demandent à être admis : une chose importante les amène ; elle vaut bien qu’on leur donne quelques moments. Ascagne, qui voit leur impatience, les reçoit le premier, et ordonne à Nisus de parler. Alors le fils d’Hyrtacus : « Troyens, écoutez-nous favorablement, et ne jugez point par notre âge du projet qui nous amène devant vous. Les Rutules ensevelis dans le vin et le sommeil se sont tus : nous avons découvert un endroit propre à une surprise ; c’est où la route se partage en deux sentiers, près de la porte du camp la plus voisine de la mer. Les feux de l’ennemi sont partout interrompus ; on ne voit plus s’élever dans les airs qu’une noire fumée. (9, 240) Si vous nous permettez de saisir cette heureuse occasion, nous irons chercher Énée jusque dans les murs de Pallantée, et vous nous verrez bientôt revenir tout sanglants, et chargés des dépouilles de l’ennemi. Nous ne pouvons nous égarer ; dans nos longues chasses nous avons souvent aperçu la ville d’Évandre au fond de l’obscure vallée, et reconnu toute la rive du fleuve. » Alors Alète chargé d’ans, et en qui l’âge a mûri l’esprit, s’écrie : « Dieu de la patrie, vous qui couvrez tou-