Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/384

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sance d’un fils tel que toi ne lui sera pas peu comptée, quel que soit l’événement qui t’attende. (9, 300) J’en jure par cette tête, par laquelle jurait mon père ; tout ce que je te promets pour le jour heureux du retour, je le promets à ta mère et à ceux de ton sang. » Ainsi parlait Iule en pleurant. Alors il détache de son épaule son épée, ouvrage admirable de Lycaon de Gnosse ; la poignée en était d’or, et la lame s’engageait dans un fourreau d’ivoire. Mnesthée donne à Nisus la dépouille hérissée d’un lion ; Alète change son casque avec le sien. Tous deux armés se mettent en marche ; les premiers des Troyens, jeunes gens et vieillards, se pressent sur leurs pas et jusqu’aux portes du camp (9, 310) les suivent de leurs vœux : le bel Ascagne, dont le cœur et l’esprit déjà virils devancent les années, envoyait par eux à son père mille avis importants ; vaines paroles que les vents dissipent et jettent aux nuages.

Ils sortent, franchissent les fossés, et à la faveur des ombres de la nuit gagnent le camp des ennemis : mais avant d’en sortir, à combien de Rutules leurs coups seront funestes ! Ils voient des soldats que le vin et le sommeil ont étendus sur l’herbe : les chars pendent dételés près du rivage ; les rênes, les roues, les guerriers, les armes, les vins répandus, tout gît pêle-mêle. Alors le fïls d’Hyrtacide : (9, 320) « Euryale, un coup d’audace ! l’occasion nous appelle ; c’est par là que je vais : toi, de peur que l’ennemi ne vienne à s’élever sur nous par derrière, fais la garde, et veille au loin. Je vais tout égorger devant moi et te mener par un large chemin. » Ainsi il parle à voix basse : en même temps il tombe l’épée à la main sur le superbe Rhamnès, qui, reposant sur des coussins magnifiquement dressés, soufflait le sommeil de toute sa bruyante poitrine. Il était roi et augure, cher entre tous à Turnus ; mais sa divine science ne put détourner de lui le coup fatal. Trois esclaves de Rémus gisaient au hasard au milieu des armes ; (9, 330) il les massacre avec son écuyer et le conducteur de son char, qu’il trouve encore le cou pendant sur ses coursiers : il l’abat du tranchant de son épée ; la tête de Rémus tombe aussi ; et du tronc palpitant s’élance un sang noirâtre, qui mouille l’herbe tiédie et le lit du guerrier. Il immole coup sur coup Lamyrus, Lamus, et le jeune et beau Sarranus : il avait passé dans le jeu une grande partie de cette nuit ; vaincu par le dieu du sommeil, il lui abandonnait ses membres enchaînés : heureux s’il eût prolongé jusqu’au retour de la lumière et sa veille et le jeu I (9, 339) Ainsi un lion à jeun et poussé par une faim furieuse ravage une bergerie pleine, déchire, entraîne les tendres agneaux, les brebis muettes de peur, et ensanglante sa gueule frémissante. Euryale n’est pas moins ardent au carnage ; lui aussi répand dans le camp ses sanglantes fureurs, et frappe dans l’ombre mille guerriers sans nom : il tombe sur Fadus, Herbésus, Rhétus et Abaris. Rhétus veillait, et voyait tout ; mais dans sa frayeur il se tenait caché derrière un grand cratère. Au moment qu’il se dresse pour fuir, Euryale lui enfonce jusqu’à la garde son épée dans la poitrine, et l’en retire fumante du coup de la mort. Rhétus expire et rejette son âme avec des flots pourprés de sang (9, 350) et de vin. Euryale s’échauffe à ses cruelles embû-